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cinq à six poules, qui fournissent la quantité d’œufs nécessaires à la consommation quotidienne.

À l’intérieur de cette maison, il n’y a que trois chambres, garnies de quelques meubles — le strict nécessaire. L’une de ces chambres, à gauche en entrant, sert de cuisine ; les deux autres, à droite, servent de chambres à coucher. L’étroit couloir qui les sépare, établit une communication entre la cour et le jardin.

Oui ! cette maison était humble et misérable ; mais on sentait que cela était voulu, qu’il y avait là parti pris de vivre dans ces conditions de misère et d’humilité. Les habitants de Saint-Charles ne s’y trompaient point. En effet, s’il arrivait que quelque mendiant frappât à la porte de Maison-Close — c’est ainsi qu’on la désignait dans la bourgade — jamais il ne s’en allait sans avoir été assisté d’une légère aumône. Maison-Close aurait pu s’appeler Maison-Charitable, car la charité s’y faisait à toute heure.

Qui demeurait là ? Une femme, toujours seule, toujours habillée de noir, toujours recouverte d’un long voile de veuve. Elle ne quittait que rarement sa maison — une ou deux fois la semaine, lorsque quelque indispensable acquisition l’obligeait à sortir, ou, le dimanche, pour se rendre à l’office. Quand il s’agissait d’un achat, elle attendait que la nuit ou tout au moins le soir fût venu, se glissait à travers les rues sombres, longeait les maisons, entrait rapidement dans une boutique, parlait d’une voix sourde, en peu de mots, payait sans marchander, revenait, la tête basse, les yeux à terre, comme une pauvre créature qui aurait eu honte de se laisser voir. Allait-elle à l’église, c’était dès l’aube, à la première messe. Elle se tenait à l’écart, dans un coin obscur, agenouillée, pour ainsi dire rentrée en elle-même. Sous les plis de son voile, son immobilité était effrayante. On aurait pu la croire morte, si de douloureux soupirs ne se fussent échappés de sa poitrine. Que cette femme ne fût pas dans la misère, soit ! mais c’était assurément un être bien misérable. Une ou deux fois, quelques bonnes âmes avaient voulu l’assister, lui offrir leurs services, s’intéresser à elle, lui faire entendre des paroles de sympa-