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allant, chacun de son côté, pour accomplir la même œuvre de dévouement national.

Jean attendait ainsi derrière les premiers piliers de la nef, lorsqu’un véhément tumulte éclata au dehors. C’était des cris, des vociférations, des hurlements. On eût dit d’une sorte de colère publique, qui se manifestait avec une extraordinaire violence. En même temps, de larges lueurs illuminaient l’espace, et leur réverbération pénétrait jusqu’à l’intérieur de l’église.

Le flot des auditeurs sortit, et Jean, entraîné comme malgré lui, le suivit jusqu’au milieu de la place.

Que se passait-il donc ?

Là, devant les ruines de la maison du traître, un grand feu venait d’être allumé. Des hommes, auxquels se joignirent bientôt des enfants et des femmes, attisaient ce feu, en y jetant des brassées de bois mort. En même temps que les cris d’horreur, ces mots de haine retentissaient dans l’air :

« Au feu, le traître !… Au feu, Simon Morgaz ! »

Et alors, une sorte de mannequin, habillé de haillons, fut traîné vers les flammes.

Jean comprit. La population de Chambly procédait, en effigie, à l’exécution du misérable, comme à Londres, on traîne encore par les rues l’image de Guy Fawkes, le criminel héros de la conspiration des Poudres.

Aujourd’hui, c’était le 27 septembre, c’était l’anniversaire du jour où Walter Hodge et ses compagnons, François Clerc et Robert Farran étaient morts sur l’échafaud.

Saisi d’horreur, Jean voulut fuir… Il ne put s’arracher du sol, où il semblait que ses pieds restaient irrésistiblement attachés. Là, il revoyait son père, accablé d’injures, accablé de coups, souillé de la boue que lui jetait cette foule, en proie à un délire de haine. Et il lui semblait que tout cet opprobre retombait sur lui, Jean Morgaz.

En ce moment, l’abbé Joann parut. La foule s’écarta pour lui livrer passage.