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prenant la défense des faibles contre les forts !… Il se nommait Jean !… Son frère se nommait Joann… et, tenez, précisément comme le jeune prêtre qui va prêcher tout à l’heure…

— L’abbé Joann ?… s’écria Jean.

— Vous le connaissez ?

— Non… mon ami… non !… Mais j’ai entendu parler de ses prédications…

— Eh bien, si vous ne le connaissez pas, monsieur, vous devriez faire sa connaissance !… Il a parcouru les comtés de l’ouest, et partout, on s’est précipité pour l’entendre !… Vous verriez quel enthousiasme il provoque !… Et si vous pouviez retarder votre départ d’une heure…

— Je vous suis ! » répondit Jean.

Le vieillard et lui se dirigèrent vers l’église, où ils eurent quelque peine à trouver place. Les premières prières étaient dites, le prédicateur venait de monter en chaire.

L’abbé Joann était âgé de trente ans. Avec sa figure passionnée, son regard pénétrant, sa voix chaude et persuasive, il ressemblait à son frère, étant imberbe comme lui. En eux se retrouvaient les traits caractéristiques de leur mère. À le voir comme à l’entendre, on comprenait l’influence que l’abbé Joann exerçait sur les foules, attirées par sa renommée. Porte-parole de la foi catholique et de la foi nationale, c’était un apôtre, au véritable sens du mot, un enfant de cette forte race des missionnaires, capables de donner leur sang pour confesser leurs croyances.

L’abbé Joann commençait sa prédication. À tout ce qu’il disait pour son Dieu, on sentait tout ce qu’il voulait dire pour son pays. Ses allusions à l’état actuel du Canada étaient faites pour passionner des auditeurs, chez lesquels le patriotisme n’attendait qu’une occasion pour se déclarer par des actes. Son geste, sa parole, son attitude, faisaient courir de sourds frémissements à travers cette modeste église de village, lorsqu’il appelait les secours du ciel contre les spoliateurs