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Une horrible pensée traversa l’esprit de Jean. Qui avait allumé cet incendie ?… Était-ce l’œuvre du hasard ou de l’imprudence ?… Était-ce la main d’un justicier ?…

Jean, irrésistiblement entraîné, se glissa entre les ruines… Il foula du pied les cendres entassées sur le sol. Quelques chouettes s’envolèrent. Sans doute, personne ne venait jamais là. Pourquoi donc, dans cette partie la plus fréquentée de la bourgade, oui, pourquoi avait-on laissé subsister ces ruines ? Comment, après l’incendie, ne s’était-on pas donné la peine de déblayer ce terrain ? Depuis douze ans qu’il l’avait abandonnée, Jean n’avait jamais appris que la maison de sa famille eût été détruite, qu’elle ne fût plus qu’un amas de pierres, noircies par le feu. Immobile, le cœur gonflé, il songeait à ce triste passé, au présent plus triste encore !…

« Eh ? que faites-vous là, monsieur ? » lui cria un vieil homme, qui venait de s’arrêter en se rendant à l’église.

Jean n’ayant point entendu, ne répondait pas.

« Eh ! reprit le vieil homme, êtes-vous sourd ? Ne restez pas là !… Si on vous voyait, vous risqueriez d’attraper quelque mauvais compliment ! »

Jean sortit des ruines, revint sur la place, et, s’adressant à son interlocuteur :

« C’est à moi que vous parlez ? demanda-t-il.

— À vous-même, monsieur. Il est défendu d’entrer en cet endroit !

— Et pourquoi ?…

— Parce que c’est un lieu maudit !

— Maudit ! » murmura Jean.

Mais ce fut dit d’une voix si basse que le vieil homme n’aurait pu l’entendre.

« Vous êtes étranger, monsieur ?

— Oui, répondit Jean.

— Et, sans doute, vous n’êtes pas venu à Chambly depuis bien des années ?…