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chaque matin, qui s’élevait à quelques centaines de pas, en remontant vers le haut quartier de Chambly.

Cette rue aboutissait à la place de l’église. La maison paternelle en occupait un angle, à gauche, sa façade tournée du côté de la place, ses derrières donnant sur un jardin, qui se raccordait aux massifs d’arbres, groupés autour de la bourgade.

La nuit était assez sombre. La grande porte entr’ouverte de l’église laissait voir, à l’intérieur, une foule vaguement éclairée par le lustre suspendu à la voûte.

Jean, n’ayant plus à craindre d’être reconnu — en admettant qu’on eût conservé souvenir de lui — eut un instant la pensée de se mêler à cette foule, d’entrer dans cette église, d’assister à l’office du soir, de s’agenouiller sur ces bancs où il avait dit ses prières d’enfant. Mais, tout d’abord, il se sentit attiré vers le côté opposé de la place, ayant pris sur la gauche, il atteignit l’angle où s’élevait la maison de sa famille…

Il se souvenait. C’était là qu’elle était bâtie. Tous les détails lui revenaient, la barrière qui fermait une petite cour en avant, le colombier qui dominait le pignon sur la droite, les quatre fenêtres du rez-de-chaussée, la porte au milieu, la fenêtre à gauche du premier étage, où la figure de sa mère lui était si souvent apparue entre les fleurs qui l’encadraient. Il avait quinze ans, lorsqu’il avait quitté Chambly pour la dernière fois. À cet âge, les choses sont déjà profondément gravées dans la mémoire. C’était bien à cette place que devait être l’habitation, construite par les premiers de sa famille, au début de la colonie canadienne.

Plus de maison à cet endroit. Sur son emplacement, rien que des ruines. Ruines sinistres, non pas celles que le temps a faites, mais celles que laisse après lui quelque violent sinistre. Et ici, on ne pouvait s’y méprendre. Des pierres calcinées, des pans de murs noircis, des morceaux de poutres brûlées, des amas de cendres, blanches maintenant, disaient qu’à une époque déjà reculée, la maison avait été la proie des flammes.