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Jean reprit place alors à bord du Champlain, qui s’éloigna vers la rive gauche. Et, tandis que le train de bois continuait à dériver en aval, on put entendre la voix sonore de Louis Lacasse qui reprenait :


À la claire fontaine
J’allais me promener !


Une heure après, la brise revint avec la marée montante. Le Champlain s’engagea entre ces nombreux îlots qui limitent le lac Pierre, et ayant longé successivement le littoral des comtés de Joliette et de Richelieu, situés en face l’un de l’autre, il fit escale aux villages riverains du comté de Montcalm et du comté de Verchères, dont les femmes s’étaient si courageusement battues à la fin du dix-septième siècle pour défendre un fort attaqué par les sauvages.

Tandis que le cotre stationnait, Jean rendit visite aux chefs réformistes et put s’assurer par lui-même de l’esprit des habitants. Plusieurs fois, on lui parla de Jean-Sans-Nom, dont la tête avait été mise à prix. Où était-il actuellement ? Reparaîtrait-il, lorsque la bataille serait engagée ? Les patriotes comptaient sur lui. En dépit de l’arrêté du gouverneur général, il pouvait venir sans crainte dans le comté, et là, pour une heure comme pour vingt-quatre, toutes les maisons lui seraient ouvertes !

Devant ces marques d’un dévouement qui aurait été jusqu’au dernier sacrifice, Jean se sentait profondément ému. Oui ! il était attendu comme un Messie par la population canadienne ! Et alors il se bornait à répondre :

« Je ne sais où est Jean-Sans-Nom ; mais, le jour venu, il sera là où il doit être ! »

Vers le milieu de la nuit du 26 au 27 septembre, le Champlain avait atteint la branche méridionale du Saint-Laurent, qui sépare l’île de Montréal de la rive sud.

Le Champlain touchait alors au terme de son voyage. Dans quelques jours, les frères Harcher allaient le désarmer pour la saison d’hiver, qui rend impraticable la navigation du fleuve. Puis, Jean et