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ou de la Malbaie, les baigneurs canadiens et américains — principalement ceux que les ardentes températures de la Nouvelle-Angleterre chassent vers les fraîches zones du grand fleuve — fréquentent plus volontiers sa rive méridionale.

C’est là, au marché de Matane d’abord, que le Champlain vint apporter ses premières charges de poissons. Jean et deux des frères Harcher, Michel et Tony, allèrent de porte en porte offrir le produit de leur pêche. Pourquoi eût-on remarqué que Jean restait dans quelques-unes de ces maisons plus de temps que n’en comportait un trafic de ce genre, qu’il pénétrait à l’intérieur des habitations, qu’il échangeait quelques mots, non plus avec les domestiques, mais avec les maîtres ? Et, aussi, pourquoi aurait-on observé que, dans certaines demeures de condition modeste, il remettait parfois plus d’argent que ses camarades n’en recevaient pour prix de leur marchandise ?

Il en fut ainsi, durant les jours suivants, au milieu des bourgades de la côte méridionale, à Rimouski, à Bic, à Trois-Pistoles, à la plage de Caconna, l’une des stations balnéaires à la mode de cette rive du Saint-Laurent.

À la Rivière-du-Loup — petite ville où Jean s’arrêta dans la matinée du 17 septembre — le Champlain reçut la visite des agents préposés à la surveillance spéciale du fleuve. Mais tout alla bien. Depuis quelques années déjà, Jean était porté sur les papiers du cotre comme s’il eût été l’un des fils de Thomas Harcher. Jamais la police n’aurait soupçonné que, sous l’habit d’un pêcheur acadien, se cachait le proscrit, dont la tête valait maintenant six mille piastres à quiconque la livrerait.

Puis, lorsque les agents eurent achevé leur visite :

« Peut-être, dit Pierre Harcher, ferons-nous bien d’aller chercher refuge sur l’autre rive.

— C’est notre avis, dit Michel.

— Et pourquoi ? demanda Jean. Est-ce que notre bateau a paru suspect à ces hommes ? Est-ce que tout ne s’est point passé comme