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Dans la soirée même du 3 septembre, leur conférence achevée, MM. Vincent Hodge, William Clerc et André Farran s’étaient retirés pour retourner à Montréal. Ce fut seulement deux jours après son arrivée à la villa, que Jean prit congé de M. de Vaudreuil et de sa fille.

Pendant cette courte hospitalité, que d’heures s’étaient passées à parler de la nouvelle tentative qui allait être faite pour arracher le Canada à la domination anglaise ! Avec quelle passion Clary entendait le jeune proscrit glorifier la cause qui leur était si chère à tous deux ! Lui-même s’était un peu départi de la froideur qu’il avait montrée d’abord, et qui semblait être voulue. Peut-être subissait-il l’influence de cette âme vibrante de jeune fille, dont le patriotisme s’accordait si étroitement avec le sien.

C’était dans la soirée du 5 septembre, que Jean avait quitté M. et Mlle de Vaudreuil, afin d’aller reprendre sa vie errante et achever la campagne de propagande réformiste dans les comtés du bas Canada. Avant de se séparer, tous trois avaient décidé de se retrouver à la ferme de Chipogan chez Thomas Harcher, dont la famille, on va le voir, était devenue la famille du jeune patriote. Mais la jeune fille et lui se reverraient-ils jamais, alors que tant de dangers menaçaient sa tête !

En tout cas, personne à l’habitation n’avait même soupçonné que ce fût Jean-Sans-Nom à qui la villa Montcalm venait de donner asile. Le chef de la maison Rip and Co, lancé sur une fausse piste, n’était pas parvenu à découvrir le lieu de sa retraite. Jean avait pu quitter la villa secrètement comme il y était arrivé, traverser le Saint-Laurent dans le bac de passage à l’extrémité de l’île Jésus, et s’engager à l’intérieur du territoire en gagnant vers la frontière américaine, afin de la franchir, si cela devenait nécessaire pour sa sûreté. Comme c’était au milieu des paroisses du haut fleuve que les recherches s’opéraient alors — et avec raison, puisque Jean venait de les parcourir récemment — il avait atteint, sans avoir été ni reconnu ni poursuivi, la rivière de Saint-Jean, dont le cours sert de limite en