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“Karroly… Karroly ! ”

Une minute plus tard, par une coupure de la falaise, très élargie à sa crête, très rétrécie à sa base, et qui se prolongeait jusqu’à la grève jaunâtre semée de pierres noires, apparut ce Karroly.

Assurément, un Indien, et d’un type bien différent de celui de ce blanc, dont l’entrée en scène venait de se manifester par un si brillant coup de fusil.

C’était un homme de trente-cinq à quarante ans, fortement musclé, larges épaules, torse puissant, grosse tête carrée sur un cou robuste, taille de cinq pieds et demi, très brun de peau, très noirs de cheveux, des yeux perçants sous une arcade sourcilière peu fournie, barbe réduite à quelques poils roussâtres. A la rigueur, il eût été permis de dire que chez cet être de race inférieure, les caractères de l’animalité devaient égaler ceux de l’humanité, mais une animalité douce et caressante. Chez lui, rien du fauve, plutôt la physionomie d’un bon et fidèle chien, de ces courageux Terre-Neuves, qui peuvent devenir non seulement le compagnon, mais l’ami de l’homme. Et, ce fut bien comme un de ces dévoués animaux qu’il vint, à l’appel de son nom, se frotter contre le maître dont la main serra la sienne.

Quelques paroles furent échangées entre eux deux dans ce langage indigène signalé plus haut avec une aspiration courte, qui semblait se produire à la moitié de chaque mot prononcé à voix basse. Puis tous deux se dirigèrent vers l’endroit où le blessé gisait sur le sol près du jaguar abattu.

Le malheureux avait perdu connaissance. De sa poitrine labourée par les griffes du fauve, le sang, qui avait rougi le sol, coulait encore en minces filets. Cependant, ses yeux fermés, il les rouvrit, lorsqu’il sentit une main s’appuyer sur son épaule, et repousser son grossier vêtement de peau sous lequel saignaient plusieurs autres blessures.

En apercevant l’homme qui s’empressait à lui donner les premiers soins, il le reconnut sans doute, car son regard s’éclaira d’une faible lueur, et ce nom s’échappa de ses lèvres décolorées :

“Le Kaw-djer… le Kaw-djer !…”

Ce mot qui signifie l’ami, le bienfaiteur en langue indigène, s’appliquait évidemment à ce blanc, car il fit un signe affirmatif. Nul doute que l’indigène ne se sentît un peu rassuré par la présence du Kaw-djer. Il savait qu’il n’était pas entre les mains de l’un de ces sorciers, de ces faiseurs de sortilèges, de ces vendeurs de charmes, ces