Page:Verne - En Magellanie.djvu/16

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La main haute, lorsque l’animal se précipita sur lui, il frappa de ce couteau insuffisant contre un si terrible adversaire. Celui-ci s’étant reculé d’un pas, il espérait pouvoir se relever et prendre une posture plus défensive. Il n’en eut pas le temps. Le jaguar, légèrement touché, fit un nouveau bond, et ses griffes l’abattirent sur le sol.

Juste à ce moment retentit la détonation sèche d’une carabine, et le jaguar, traversé d’une balle au cœur, retomba foudroyé.

Une légère vapeur blanche couronnait alors un des rocs de la falaise à cent pas de là. Debout sur ce roc, se tenait un homme, sa carabine encore épaulée. Voyant qu’il ne serait pas nécessaire de la décharger une seconde fois, il l’abaissa, la désarma, la remit sous son bras et, se retournant, promena son regard vers le sud.

En cette direction, en contre-bas de la falaise rocheuse, se développait une assez large portion de mer.

L’homme, se penchant, poussa un cri, auquel il ajouta quelques mots d’une intonation gutturale, accentuée par le redoublement de la consonne K.

Ce n’était pas un indigène cependant. Le type Européen ou Américain peut-être se reconnaissait dans toute sa personne. Il n’avait pas la peau brune, bien qu’il fût fortement hâlé, ni le nez épaté dans un profond enforcement des orbites, ni les pommettes saillantes, ni le front bas sous un angle fuyant, ni les petits yeux de la race. Au contraire, son front était haut, zébré des multiples rides du penseur, sa physionomie intelligente. Il avait les cheveux coupés ras, déjà grisonnant comme sa barbe, et les indigènes de ce pays en sont à peu près dépourvus.

De cet individu, on n’aurait pu dire l’âge, à dix ans près, compris sans doute entre la quarantaine et la cinquantaine. Il était de haute taille, de constitution vigoureuse, de santé inattaquable. Tout en lui dénotait l’énergie, une énergie qui devait parfois prendre le caractère éruptif de la colère. Une grande force musculaire le caractérisait. Son visage, d’ailleurs, était empreint de gravité, un peu de cette gravité de l’Indien du Far-West américain, et de toute sa personne se dégageait cette fierté, bien différente de l’orgueil des égoïstes, amoureux d’eux-mêmes, — ce qui lui donnait une véritable noblesse de gestes et d’attitude.

Au premier cri lancé du sommet de la falaise en avait succédé un second qui devait être un appel à un individu dont le nom était d’origine indigène :