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La plaine, dans la partie que dominait le monticule, ne présentait pas une surface uniformément plate. Çà et là, le sol se relevait en épaulements de terre, sortes de boursouflures que les grandes pluies orageuses, en ravinant le sol, laissent après elles. Le long de l’un de ces épaulements, à moins d’une douzaine de pas du monticule, se glissait un indigène, un Indien que le guanaque ne pouvait apercevoir. A demi-nu, n’ayant pour tout vêtement que les lambeaux d’une fourrure de fauve, souple comme un serpent, il rampait sans bruit, se faufilant entre les herbes, de manière à se rapprocher du gibier qu’il convoitait, et dont le moindre éveil eût provoqué la fuite. Cependant, le guanaque commençait à donner des signes d’inquiétude, à percevoir la menace d’un danger imminent.

En effet un jet de lanière projetée ne tarda pas à siffler dans l’air. Un lasso, lancé de bonne distance, se déroula vers l’animal, et la longue courroie, entraînée par la boule de pierre fixée à son extrémité, n’ayant pas atteint la tête du guanaque, glissa sur sa croupe et ne l’enserra pas.

Le coup était manqué. L’animal, après un vif écart, s’enfuit à toutes jambes. Lorsque l’Indien arriva au sommet du monticule, il ne l’entrevit qu’un instant, alors qu’il disparaissait derrière un massif d’arbres qui bordait la plaine de ce côté.

Mais si le guanaque ne courait plus aucun danger, l’indigène était menacé à son tour.

Après avoir ramené à lui le lasso dont le bout se rattachait à sa ceinture, il se préparait à redescendre, lorsqu’un furieux rugissement éclata soudain à quelques pas de lui.

Presqu’aussitôt, emporté d’un bond rapide, un fauve vint s’abattre à ses pieds, se redressa, et lui sauta à la gorge.

C’était un de ces tigres d’Amérique, de moins grande taille que ses congénères d’Asie, mais dont l’attaque est également redoutable, — un jaguar, de ce genre chat, qui mesure entre quatre et cinq pieds de la tête à la queue, jaune gris de pelage au dos, marbré au cou et aux flancs de tachetures noires à centres plus clairs comme la pupille d’un œil.

L’indigène fit un brusque saut latéralement. Il connaissait la force et la férocité de cet animal, dont les griffes lui déchireraient la poitrine, dont les dents l’étrangleraient d’un seul coup de mâchoire. Par malheur, en reculant, il buta, il s’étendit de son long. Il était perdu, n’ayant pour toute arme qu’une sorte de couteau, fait d’un os de phoque très effilé et qu’il parvint à tirer de sa ceinture.