Page:Verne - De la Terre à la lune.djvu/95

Cette page a été validée par deux contributeurs.
91
la fête de la fonte.

piles croisées, afin que l’air chaud pût circuler librement entre elles. Depuis le matin, les douze cents cheminées vomissaient dans l’atmosphère leurs torrents de flammes, et le sol était agité de sourdes trépidations. Autant de livres de métal à fondre, autant de livres de houille à brûler. C’étaient donc soixante-huit mille tonnes de charbon, qui projetaient devant le disque du soleil un épais rideau de fumée noire.

La chaleur devint bientôt insoutenable dans ce cercle de fours dont les ronflements ressemblaient au roulement du tonnerre ; de puissants ventilateurs y joignaient leurs souffles continus et saturaient d’oxygène tous ces foyers incandescents.

L’opération, pour réussir, demandait à être rapidement conduite. Au signal donné par un coup de canon, chaque four devait livrer passage à la fonte liquide et se vider entièrement.

Ces dispositions prises, chefs et ouvriers attendirent le moment déterminé avec une impatience mêlée d’une certaine quantité d’émotion. Il n’y avait plus personne dans l’enceinte, et chaque contremaître fondeur se tenait à son poste près des trous de coulée.

Barbicane et ses collègues, installés sur une éminence voisine, assistaient à l’opération. Devant eux, une pièce de canon était là, prête à faire feu sur un signe de l’ingénieur.

Quelques minutes avant midi, les premières gouttelettes du métal commencèrent à s’épancher ; les bassins de réception s’emplirent peu à peu, et lorsque la fonte fut entièrement liquide, on la tint en repos pendant quelques instants, afin de faciliter la séparation des substances étrangères.

Midi sonna. Un coup de canon éclata soudain et jeta son éclair fauve dans les airs. Douze cents trous de coulée s’ouvrirent à la fois, et douze cents serpents de feu rampèrent vers le puits central, en déroulant leurs anneaux incandescents. Là ils se précipitèrent, avec un fracas épouvantable, à une profondeur de neuf cents pieds. C’était un émouvant et magnifique spectacle. Le sol tremblait, pendant que ces flots de fonte, lançant vers le ciel des tourbillons de fumée, volatilisaient en même temps l’humidité du moule et la rejetaient par les évents du revêtement de pierre sous la forme d’impénétrables vapeurs. Ces nuages factices déroulaient leurs spirales épaisses en montant vers le zénith jusqu’à une hauteur de cinq cents toises. Quelque sauvage, errant au-delà des limites de l’horizon, eût pu croire à la formation d’un nouveau cratère au sein de la Floride, et cependant ce n’était là ni une éruption, ni une trombe, ni un orage, ni une lutte d’éléments, ni un de ces phénomènes terribles que la nature est capable de produire ! Non ! l’homme seul avait créé ces vapeurs rougeâtres, ces flammes gigantesques dignes d’un volcan, ces trépidations