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le wagon-projectile.

bois de Skersnaw, il avait fini par résoudre cette grande difficulté d’une ingénieuse façon. C’est à l’eau qu’il comptait demander de lui rendre ce service signalé. Voici comment.

Le projectile devait être rempli à la hauteur de trois pieds d’une couche d’eau destinée à supporter un disque en bois parfaitement étanche, qui glissait à frottement sur les parois intérieures du projectile. C’est sur ce véritable radeau que les voyageurs prenaient place. Quant à la masse liquide, elle était divisée par des cloisons horizontales que le choc au départ devait briser successivement. Alors chaque nappe d’eau, de la plus basse à la plus haute, s’échappant par des tuyaux de dégagement vers la partie supérieure du projectile, arrivait ainsi à faire ressort, et le disque, muni lui-même de tampons extrêmement puissants, ne pouvait heurter le culot inférieur qu’après l’écrasement successif des diverses cloisons. Sans doute les voyageurs éprouveraient encore un contrecoup violent après le complet échappement de la masse liquide, mais le premier choc devait être presque entièrement amorti par ce ressort d’une grande puissance.

Il est vrai que trois pieds d’eau sur une surface de cinquante-quatre pieds carrés devaient peser près de onze mille cinq cents livres ; mais la détente des gaz accumulés dans la Columbiad suffirait, suivant Barbicane, à vaincre cet accroissement de poids ; d’ailleurs le choc devait chasser toute cette eau en moins d’une seconde, et le projectile reprendrait promptement sa pesanteur normale.

Voilà ce qu’avait imaginé le président du Gun-Club et de quelle façon il pensait avoir résolu la grave question du contrecoup. Du reste, ce travail, intelligemment compris par les ingénieurs de la maison Breadwill, fut merveilleusement exécuté ; l’effet une fois produit et l’eau chassée au-dehors, les voyageurs pouvaient se débarrasser facilement des cloisons brisées et démonter le disque mobile qui les supportait au moment du départ.

Quant aux parois supérieures du projectile, elles étaient revêtues d’un épais capitonnage de cuir, appliqué sur des spirales du meilleur acier, qui avaient la souplesse des ressorts de montre. Les tuyaux d’échappement dissimulés sous ce capitonnage ne laissaient pas même soupçonner leur existence.

Ainsi donc toutes les précautions imaginables pour amortir le premier choc avaient été prises, et pour se laisser écraser, disait Michel Ardan, il faudrait être « de bien mauvaise composition ».

Le projectile mesurait neuf pieds de large extérieurement sur douze pieds de haut. Afin de ne pas dépasser le poids assigné, on avait un peu diminué l’épaisseur de ses parois et renforcé sa partie inférieure, qui de-