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de la terre à la lune.

tricable n’était pas un être humain, mais bien une venimeuse araignée, particulière au pays, grosse comme un œuf de pigeon, et munie de pattes énormes. Le hideux animal, au moment de se précipiter sur sa proie, avait dû rebrousser chemin et chercher asile sur les hautes branches du tulipier, car un ennemi redoutable venait le menacer à son tour.

En effet, le capitaine Nicholl, son fusil à terre, oubliant les dangers de sa situation, s’occupait à délivrer le plus délicatement possible la victime prise dans les filets de la monstrueuse araignée. Quand il eut fini, il donna la volée au petit oiseau, qui battit joyeusement de l’aile et disparut.

Nicholl, attendri, le regardait fuir à travers les branches, quand il entendit ces paroles prononcées d’une voix émue :

« Vous êtes un brave homme, vous ! »

Il se retourna. Michel Ardan était devant lui, répétant sur tous les tons :

« Et un aimable homme !

— Michel Ardan ! s’écria le capitaine. Que venez-vous faire ici, monsieur ?

— Vous serrer la main, Nicholl, et vous empêcher de tuer Barbicane ou d’être tué par lui.

— Barbicane ! s’écria le capitaine, que je cherche depuis deux heures sans le trouver ! Où se cache-t-il ?…

— Nicholl, dit Michel Ardan, ceci n’est pas poli ! il faut toujours respecter son adversaire ; soyez tranquille, si Barbicane est vivant, nous le trouverons, et d’autant plus facilement que, s’il ne s’est pas amusé comme vous à secourir des oiseaux opprimés, il doit vous chercher aussi. Mais quand nous l’aurons trouvé, c’est Michel Ardan qui vous le dit, il ne sera plus question de duel entre vous.

— Entre le président Barbicane et moi, répondit gravement Nicholl, il y a une rivalité telle, que la mort de l’un de nous…

— Allons donc ! allons donc ! reprit Michel Ardan, de braves gens comme vous, cela a pu se détester, mais cela s’estime. Vous ne vous battrez pas.

— Je me battrai, monsieur !

— Point.

— Capitaine, dit alors J.-T. Maston avec beaucoup de cœur, je suis l’ami du président, son alter ego, un autre lui-même ; si vous voulez absolument tuer quelqu’un, tirez sur moi, ce sera exactement la même chose.

— Monsieur, dit Nicholl en serrant son rifle d’une main convulsive, ces plaisanteries…

— L’ami Maston ne plaisante pas, répondit Michel Ardan, et je comprends son idée de se faire tuer pour l’homme qu’il aime ! Mais ni lui ni Barbicane ne tomberont sous les balles du capitaine Nicholl, car j’ai à faire