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comment un français arrange une affaire.

— Que faire ? dit Maston.

— Entrer dans le bois, au risque d’attraper une balle qui ne nous est pas destinée.

— Ah ! s’écria Maston avec un accent auquel on ne pouvait se méprendre, j’aimerais mieux dix balles dans ma tête qu’une seule dans la tête de Barbicane.

— En avant donc ! » reprit Ardan en serrant la main de son compagnon.

Quelques secondes plus tard, les deux amis disparaissaient dans le taillis. C’était un fourré fort épais, fait de cyprès géants, de sycomores, de tulipiers, d’oliviers, de tamarins, de chênes vifs et de magnolias. Ces divers arbres enchevêtraient leurs branches dans un inextricable pêle-mêle, sans permettre à la vue de s’étendre au loin. Michel Ardan et Maston marchaient l’un près de l’autre, passant silencieusement à travers les hautes herbes, se frayant un chemin au milieu des lianes vigoureuses, interrogeant du regard les buissons ou les branches perdues dans la sombre épaisseur du feuillage et attendant à chaque pas la redoutable détonation des rifles. Quant aux traces que Barbicane avait dû laisser de son passage à travers le bois, il leur était impossible de les reconnaître, et ils marchaient en aveugles dans ces sentiers à peine frayés, sur lesquels un Indien eût suivi pas à pas la marche de son adversaire.

Après une heure de vaines recherches, les deux compagnons s’arrêtèrent. Leur inquiétude redoublait.

« Il faut que tout soit fini, dit Maston découragé. Un homme comme Barbicane n’a pas rusé avec son ennemi, ni tendu de piège, ni pratiqué de manœuvre ! Il est trop franc, trop courageux. Il est allé en avant, droit au danger, et sans doute assez loin du bushman pour que le vent ait emporté la détonation d’une arme à feu !

— Mais nous ! nous ! répondit Michel Ardan, depuis notre entrée sous bois, nous aurions entendu !…

— Et si nous sommes arrivés trop tard ! s’écria Maston avec un accent de désespoir.

Michel Ardan ne trouva pas un mot à répondre ; Maston et lui reprirent leur marche interrompue. De temps en temps ils poussaient de grands cris ; ils appelaient soit Barbicane, soit Nicholl ; mais ni l’un ni l’autre des deux adversaires ne répondait à leur voix. De joyeuses volées d’oiseaux, éveillés au bruit, disparaissaient entre les branches, et quelques daims effarouchés s’enfuyaient précipitamment à travers les taillis.

Pendant une heure encore, la recherche se prolongea. La plus grande partie du bois avait été explorée. Rien ne décelait la présence des combattants. C’était à douter de l’affirmation du bushman, et Ardan allait re-