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que-là, grâce à des amis communs, le président et le capitaine ne s’étaient jamais rencontrés face à face ; il ajouta qu’il s’agissait uniquement d’une rivalité de plaque et de boulet, et qu’enfin la scène du meeting n’avait été qu’une occasion longtemps cherchée par Nicholl de satisfaire de vieilles rancunes.

Rien de plus terrible que ces duels particuliers à l’Amérique, pendant lesquels les deux adversaires se cherchent à travers les taillis, se guettent au coin des halliers et se tirent au milieu des fourrés comme des bêtes fauves. C’est alors que chacun d’eux doit envier ces qualités merveilleuses si naturelles aux Indiens des Prairies, leur intelligence rapide, leur ruse ingénieuse, leur sentiment des traces, leur flair de l’ennemi. Une erreur, une hésitation, un faux pas peuvent amener la mort. Dans ces rencontres, les Yankees se font souvent accompagner de leurs chiens et, à la fois chasseurs et gibier, ils se relancent pendant des heures entières.

« Quels diables de gens vous êtes ! s’écria Michel Ardan, quand son compagnon lui eut dépeint avec beaucoup d’énergie toute cette mise en scène.

— Nous sommes ainsi, répondit modestement J.-T. Maston ; mais hâtons-nous. »

Cependant Michel Ardan et lui eurent beau courir à travers la plaine encore tout humide de rosée, franchir les rizières et les creeks, couper au plus court, ils ne purent atteindre avant cinq heures et demie le bois de Skersnaw. Barbicane devait avoir passé sa lisière depuis une demi-heure.

Là travaillait un vieux bushman occupé à débiter en fagots des arbres abattus sous sa hache. Maston courut à lui en criant :

« Avez-vous vu entrer dans le bois un homme armé d’un rifle, Barbicane, le président… mon meilleur ami ?… »

Le digne secrétaire du Gun-Club pensait naïvement que son président devait être connu du monde entier. Mais le bushman n’eut pas l’air de le comprendre.

« Un chasseur, dit alors Ardan.

— Un chasseur ? oui, répondit le bushman.

— Il y a longtemps ?

— Une heure à peu près.

— Trop tard ! s’écria Maston.

— Et avez-vous entendu des coups de fusil ? demanda Michel Ardan.

— Non.

— Pas un seul ?

— Pas un seul. Ce chasseur-là n’a pas l’air de faire bonne chasse !