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attaque et riposte.

— Vous avez raison, monsieur, répondit Michel Ardan, la discussion s’est égarée. Revenons à la Lune.

— Monsieur, reprit l’inconnu, vous prétendez que notre satellite est habité. Bien. Mais s’il existe des Sélénites, ces gens-là, à coup sûr, vivent sans respirer, car — je vous en préviens dans votre intérêt — il n’y a pas la moindre molécule d’air à la surface de la Lune. »

À cette affirmation, Ardan redressa sa fauve crinière ; il comprit que la lutte allait s’engager avec cet homme sur le vif de la question. Il le regarda fixement à son tour, et dit :

« Ah ! il n’y a pas d’air dans la Lune ! Et qui prétend cela, s’il vous plaît ?

— Les savants.

— Vraiment ?

— Vraiment.

— Monsieur, reprit Michel, toute plaisanterie à part, j’ai une profonde estime pour les savants qui savent, mais un profond dédain pour les savants qui ne savent pas.

— Vous en connaissez qui appartiennent à cette dernière catégorie ?

— Particulièrement. En France, il y en a un qui soutient que « mathématiquement » l’oiseau ne peut pas voler, et un autre dont les théories démontrent que le poisson n’est pas fait pour vivre dans l’eau.

— Il ne s’agit pas de ceux-là, monsieur, et je pourrais citer à l’appui de ma proposition des noms que vous ne récuseriez pas.

— Alors, monsieur, vous embarrasseriez fort un pauvre ignorant qui, d’ailleurs, ne demande pas mieux que de s’instruire !

— Pourquoi donc abordez-vous les questions scientifiques si vous ne les avez pas étudiées ? demanda l’inconnu assez brutalement.

— Pourquoi ! répondit Ardan. Par la raison que celui-là est toujours brave qui ne soupçonne pas le danger ! Je ne sais rien, c’est vrai, mais c’est précisément ma faiblesse qui fait ma force.

— Votre faiblesse va jusqu’à la folie, s’écria l’inconnu d’un ton de mauvaise humeur.

— Eh ! tant mieux, riposta le Français, si ma folie me mène jusqu’à la Lune ! »

Barbicane et ses collègues dévoraient des yeux cet intrus qui venait si hardiment se jeter au travers de l’entreprise. Aucun ne le connaissait, et le président, peu rassuré sur les suites d’une discussion si franchement posée, regardait son nouvel ami avec une certaine appréhension. L’assemblée était attentive et sérieusement inquiète, car cette lutte avait pour résultat d’appeler son attention sur les dangers ou même les véritables impossibilités de l’expédition.