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un meeting.

Rédemption divine semble, suivant saint Paul, s’être appliquée non-seulement à la Terre, mais à tous les mondes célestes. Mais je ne suis ni théologien, ni chimiste, ni naturaliste, ni physicien. Aussi, dans ma parfaite ignorance des grandes lois qui régissent l’univers, je me borne à répondre : — Je ne sais pas si les mondes sont habités, et, comme je ne le sais pas, je vais y voir ! »

L’adversaire des théories de Michel Ardan hasarda-t-il d’autres arguments ? Il est impossible de le dire, car les cris frénétiques de la foule eussent empêché toute opinion de se faire jour. Lorsque le silence se fut rétabli jusque dans les groupes les plus éloignés, le triomphant orateur se contenta d’ajouter les considérations suivantes :

« Vous pensez bien, mes braves Yankees, qu’une si grande question est à peine effleurée par moi ; je ne viens point vous faire ici un cours public et soutenir une thèse sur ce vaste sujet. Il y a toute une autre série d’arguments en faveur de l’habitabilité des mondes. Je la laisse de côté. Permettez-moi seulement d’insister sur un point. Aux gens qui soutiennent que les planètes ne sont pas habitées, il faut répondre : — Vous pouvez avoir raison, s’il est démontré que la Terre est le meilleur des mondes possible, mais cela n’est pas, quoi qu’en ait dit Voltaire. Elle n’a qu’un satellite, quand Jupiter, Uranus, Saturne, Neptune, en ont plusieurs à leur service, avantage qui n’est point à dédaigner. Mais ce qui rend surtout notre globe peu confortable, c’est l’inclinaison de son axe sur son orbite. De là l’inégalité des jours et des nuits ; de là cette diversité fâcheuse des saisons. Sur notre malheureux sphéroïde, il fait toujours trop chaud ou trop froid ; on y gèle en hiver, on y brûle en été ; c’est la planète aux rhumes, aux coryzas et aux fluxions de poitrine, tandis qu’à la surface de Jupiter, par exemple, où l’axe est très-peu incliné[1], les habitants pourraient jouir de températures invariables ; il y a la zone des printemps, la zone des étés, la zone des automnes et la zone des hivers perpétuels ; chaque Jovien peut choisir le climat qui lui plaît et se mettre pour toute sa vie à l’abri des variations de la température. Vous conviendrez sans peine de cette supériorité de Jupiter sur notre planète, sans parler de ses années, qui durent douze ans chacune ! De plus, il est évident pour moi que, sous ces auspices et dans ces conditions merveilleuses d’existence, les habitants de ce monde fortuné sont des êtres supérieurs, que les savants y sont plus savants, que les artistes y sont plus artistes, que les méchants y sont moins méchants, et que les bons y sont meilleurs. Hélas ! que manque-t-il à notre sphéroïde pour atteindre cette perfection ? Peu de chose ! Un axe de rotation moins incliné sur le plan de son orbite.

  1. L’inclinaison de l’axe de Jupiter sur son orbite n’est que de 3° 5’.