Page:Verne - Clovis Dardentor, Hetzel, 1900.djvu/32

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’animation à la dunette. Faire connaissance avec tout ce monde de passagers était à la fois son plaisir et son devoir. Avide d’apprendre d’où ils venaient, où ils allaient, curieux comme une fille d’Ève, bavard comme un couple de pies ou de merles, vrai furet introduit dans un terrier, il passait de l’un à l’autre, il les félicitait d’avoir pris passage sur l’Argèlès, le meilleur paquebot des lignes algériennes, le mieux aménagé, le plus confortable, un steamer commandé par le capitaine Bugarach et qui possédait, — il ne le disait pas, mais cela se devinait, — un docteur tel que le docteur Bruno…, etc., etc. Puis, s’adressant aux passagères, il les rassurait sur les incidents de la traversée… L’Argèlès en était encore à savoir ce que c’est qu’une tempête… Il filait sur la Méditerranée sans même mouiller le nez de son étrave… etc., etc. Et le docteur offrait des pastilles aux enfants… Ils n’avaient pas à se gêner, les chérubins !… La cale en était pleine… etc., etc.

Marcel Lornans et Jean Taconnat souriaient à tout ce manège. Ils connaissaient ce type de docteur, qui n’est pas rare dans le personnel des transports d’outre-mer… Une véritable gazette maritime et coloniale.

« Eh ! messieurs, leur dit-il, lorsqu’il se fut assis près d’eux, le médecin du bord a le devoir de faire connaissance avec les passagers… Vous me permettrez donc…

— Très volontiers, docteur, répondit Jean Taconnat. Puisque nous sommes exposés à passer par vos mains — j’entends passer et non trépasser — il est convenable que nous les serrions… »

Et des poignées de main furent chaleureusement échangées de part et d’autre.

« Si mon flair ne me trompe pas, reprit le docteur Bruno, j’ai le plaisir de causer avec des Parisiens ?…

— En effet, répliqua Marcel Lornans, des Parisiens… qui sont de Paris…

— De Paris… très bien… s’écria le docteur… de Paris même… et non de la banlieue… Du centre peut-être ?…