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— Il finira par nous tutoyer ! » murmura l’autre, non sans quelque dédain.

Dans les conditions qui leur étaient faites, il ne restait qu’à se mettre à la remorque de Clovis Dardentor. Quant au fils Désirandelle, il avait déjà pris la clef des champs, et, pendant cette journée, on put le voir, en compagnie de M. Eustache Oriental, fréquenter les magasins de comestibles et les boutiques de confiseries. Nul doute que le président de la Société astronomique de Montélimar n’eût reconnu en lui des dispositions naturelles pour les occupations de fine bouche.

Les deux jeunes gens, étant donné leur état moral, ne pouvaient que fort médiocrement s’intéresser à cette curieuse Tlemcen, la Bab-el-Gharb des Arabes, située au milieu du bassin de l’Isser, dans le demi-cercle de la Tafna. Et pourtant, elle est si jolie, qu’on l’appelle la Grenade africaine. L’ancienne Pomaria des Romains délaissée au sud-est, remplacée par la Tagrart à l’ouest, est devenue la moderne Tlemcen. Mais, son Joanne à la main, M. Dardentor eut beau répéter qu’elle était déjà florissante au xve siècle, industrieuse, commerçante, artiste, scientifique sous l’influence des races berbères, qu’elle comptait alors vingt-cinq mille familles, qu’elle était actuellement la cinquième ville de l’Algérie, avec sa population de vingt-cinq mille habitants, dont trois mille Français et trois mille juifs, qu’après avoir été prise par les Turcs en 1553, par les Français en 1836, puis cédée à Abd el Kader, elle fut définitivement reprise en 1842, qu’elle constituait un chef-lieu stratégique de grande importance sur la frontière marocaine, — oui ! malgré tous ses efforts, il fut à peine écouté et n’obtint que de vagues réponses.

Et le digne homme de se demander s’il n’eût pas mieux fait de laisser ces deux « chagrino-chagrini » dans leur coin à se morfondre !… Mais non ! il les aimait et se défendit de marquer aucune mauvaise humeur.

Certes, plus d’une fois, M. Dardentor eut envie de questionner Marcel Lornans, de le plaquer au mur, de lui crier :