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Non ! ils n’auraient pas pu « piger », ô Patrice ! d’autant que, en ce moment, une troupe de petits singes faisait escorte, gambadant entre les arbres, sautant de branche en branche, criant et grimaçant à qui mieux mieux. Or, voici que M. Dardentor, désireux de montrer son adresse, — et il était fort adroit, vantardise à part, — émit l’idée d’abattre un de ces gracieux animaux d’un coup de carabine. Or, comme d’autres auraient voulu l’imiter, sans doute, c’eût été le massacre de toute la bande simienne. Mais les dames intercédèrent, et le moyen de résister à Mlle Louise Elissane, demandant grâce pour ces jolis échantillons de la faune algérienne !

« Et puis, murmura Jean Taconnat, qui se haussa sur ses étriers jusqu’à l’oreille de M. Dardentor, à viser un singe, vous risqueriez d’attraper Agathocle !…

— Oh ! monsieur Jean, répondit le Perpignanais… Vraiment, vous l’accablez, ce garçon !… Ce n’est pas généreux ! »

Et, comme il regardait le fils Désirandelle que son mulet, par un écart brusque, venait d’envoyer à quatre pas en arrière, sans grand mal, il ajouta :

« D’ailleurs, un singe ne serait pas tombé…

— C’est juste, répliqua Jean, et je demande pardon aux quadrumanes de ma comparaison ! »

Il importait, si l’on voulait atteindre El-Gor avant la nuit, de donner un fort coup de collier pendant les dernières heures de cette après-midi.

Les attelages furent donc mis au trot, — allure qui provoqua de nombreuses secousses. Si la route était carrossable pour des charrois d’alfaciers ou de bûcherons, elle laissait à désirer pour une caravane de touristes. Cependant, malgré les cahots des voitures et les faux pas des montures sur un sol coupé d’ornières ou bossue de racines, on n’entendit aucune plainte.

Les dames, principalement, avaient hâte d’être arrivées à El-Gor, c’est-à-dire en un lieu où elles seraient en sûreté. La pensée de cheminer à travers la forêt après le coucher du soleil ne leur souriait