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quitta Mascara. Cette fois, le véhicule, au lieu de revenir à Crève-Cœur, remonta vers la station de Tizi, en traversant la plaine d’Eghris, dont les vignobles produisent un vin blanc de bonne renommée.

Le train partit à onze heures. Ce soir-là, malgré que Clovis Dardentor eût semé les pièces de quarante sols sous les pas des employés, se produisit la dislocation de son groupe.

En effet, le train, composé de quatre voitures, était presque bondé. Il s’ensuivit que Mme  Désirandelle, Mme  Elissane et sa fille ne purent trouver de place que dans le compartiment réservé aux dames, et déjà occupé par deux vieilles personnes de leur sexe. M. Désirandelle, la bouche en cœur, essaya bien de s’y faire admettre ; mais, sur la réclamation des deux irréductibles voyageuses que leur âge rendait féroces, il dut chercher ailleurs.

Clovis Dardentor le fit monter avec lui dans le compartiment des fumeurs, tout bougonnant :

« Voilà bien ces compagnies !… En Afrique c’est aussi stupide qu’en Europe !… Économies de voitures, sans parler des économies d’employés ! »

Comme ce compartiment renfermait déjà cinq voyageurs, il restait encore une place, après que MM. Dardentor et Désirandelle se furent assis en face l’un de l’autre.

« Ma foi, dit Jean Taconnat à son cousin, je préfère encore être avec lui… »

Marcel Lornans n’avait pas à demander à qui s’appliquait ce pronom personnel, et, en riant, il répondit :

« Tu as raison… Monte à ses côtés… On ne sait pas… »

Quant à lui, il n’était pas fâché de se caser dans une voiture moins occupée, où il pourrait rêver à son aise. La dernière du train contenait trois voyageurs seulement, et il y prit place.

La nuit était obscure, sans lune, sans étoiles, l’horizon embrumé. Du reste, le pays n’offrait rien de curieux sur ce parcours, qui traverse les territoires de colonisation. Rien que des fermes, des oueds, tout un réseau liquide.