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« Nous sommes venus trop tôt, monsieur Désirandelle, maugrée la dame, et vous n’y manquez jamais…

— Comme vous ne manquez jamais à récriminer, madame Désirandelle ! » répondit le monsieur sur le même ton.

Ce couple ne s’appelait jamais autrement que « monsieur, madame » soit en public, soit en particulier, — ce qu’il imaginait être d’une excessive distinction.

« Allons nous installer à bord, proposa M. Désirandelle.

— Une heure d’avance, se récria Mme  Désirandelle, quand nous en avons trente à rester sur ce bateau, qui se balance déjà comme une escarpolette !… »

En effet, bien que la mer fût calme, l’Argèlès éprouvait un léger roulis, dû à une certaine houle, dont l’ancien bassin n’est pas entièrement défendu par le brise-lames de cinq cents mètres construit à quelques encablures de la passe.

« Si nous en sommes à avoir peur du mal de mer dans le port, reprit M. Désirandelle, mieux eût valu ne point entreprendre ce voyage !

— Croyez-vous donc que j’y aurais consenti, monsieur Désirandelle, s’il ne s’était agi d’Agathocle…

— Eh bien, puisque c’est décidé…

— Ce n’est pas une raison pour embarquer si longtemps d’avance.

— Mais nous avons à déposer nos bagages, à prendre possession de notre cabine, à choisir notre place dans la salle à manger, ainsi que me l’a conseillé Dardentor…

— Vous voyez bien, riposta la dame d’un ton sec, que votre Dardentor n’est pas encore arrivé ! »

Et elle se redressait afin d’élargir son champ visuel, en parcourant du regard la jetée de Frontignan. Mais le personnage désigné sous ce nom étincelant de Dardentor n’apparaissait pas.

« Eh ! s’écria M. Désirandelle, vous le savez, il n’en fait jamais d’autres !… On ne le verra qu’au dernier moment !… Notre ami