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manière de ses livres, en balançant le doit et l’avoir avec le perpétuel souci que son compte courant fût toujours créditeur. On connaît ces figures aux traits arrêtés, dont les courbes sont dures, les bosses frontales proéminentes, le regard aigu, la bouche sévère, — tout ce qui, chez le sexe réputé faible, indique des habitudes de concentration et d’opiniâtreté. Mme  Elissane avait organisé sa maison très correctement, sans dépenses oiseuses. Elle faisait des économies qu’elle savait employer en placements sûrs et fructueux. Cependant elle n’y regardait pas, lorsqu’il s’agissait de sa fille sur laquelle reposaient toutes ses affections. Vêtue presque de façon monacale, elle voulait que Louise fût élégante, et elle ne négligeait rien à cet égard. Au fond, c’était au bonheur de son enfant que tendaient ses seuls désirs, et elle ne doutait pas que ce bonheur ne fût assuré, grâce à l’union projetée avec la famille Désirandelle. La douzaine de mille francs de rentes qu’Agathocle aurait un jour, joints à la fortune dont Louise hériterait après sa mère, c’est là une base métallique que nombre de gens trouvent suffisamment solide pour y établir un avenir de tout repos.

Louise, toutefois, se rappelait à peine ce qu’était Agathocle. Mais sa mère l’avait élevée dans cette idée qu’elle deviendrait un jour Mme  Désirandelle jeune. En somme, cela lui paraissait assez naturel, à la condition que ce fiancé lui plût, et pourquoi n’aurait-il pas tout ce qu’il faut pour plaire ?

Après avoir donné ses derniers ordres, Mme  Elissane passa dans le salon où sa fille vint la rejoindre.

« Ton dessert est prêt, mon enfant ?… demanda-t-elle.

— Oui, mère.

— Il est fâcheux que le paquebot arrive un peu tard, presque à la tombée de la nuit !… Sois habillée pour six heures, Louise, mets ta robe à petits carreaux, et nous descendrons au port, où l’on aura peut-être signalé l’Agathoclès… »

Mme  Elissane, se trompant de nom, ajoutait un accent grave à un e qui n’en devait pas avoir.