Page:Verne - Claudius Bombarnac.djvu/57

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Fragile, mon fauve !… Craint l’humidité, mon lion !… Soit ! Mais à quel propos Mlle Zinca Klork, cette jolie — car elle doit être jolie cette Roumaine, — car elle est certainement roumaine — se fait-elle expédier un fauve en boîte sous cette qualification ?

Raisonnons au lieu de déraisonner. Cet animal, quel qu’il soit, il faut qu’il mange, il faut qu’il boive. Or, à partir d’Ouzoun-Ada, on compte onze jours pour la traversée de l’Asie jusqu’à la capitale du Céleste-Empire. Eh bien, qui lui donnera à boire, à cette bête, et qui lui donnera à manger, si elle ne doit pas sortir de sa cage, si elle y reste enfermée pendant tout le trajet ? Les agents du Grand-Transasiatique n’auront pour ledit fauve que les attentions délicates exigées pour le transport d’une glace, puisqu’il est déclaré tel, et il mourra d’inanition !

Toutes ces choses tourbillonnent dans mon esprit, mes idées se brouillent. « Est-ce un rêve charmant qui m’éblouit ou si je veille ? » comme dit la Marguerite de Faust dans une phrase de construction plus lyrique que grammaticale ? Résister m’est impossible. J’ai un poids de deux kilos sur chaque paupière. Je me laisse aller le long du prélart ; ma couverture m’enveloppe plus étroitement, et je tombe dans un sommeil profond.

Combien de temps ai-je dormi ?… Peut-être trois à quatre heures. Ce qui est certain, c’est qu’il ne faisait pas encore jour lorsque je me suis réveillé.

Après m’être frotté les yeux, je me redresse, je me lève, et je viens m’appuyer sur le bastingage.

L’Astara est un peu moins secoué par la houle, depuis que le vent a passé au nord-ouest.

La nuit est froide. Je me réchauffe en arpentant le pont à grands pas pendant une demi-heure. Je ne pensais même plus à mon fauve. Brusquement, ce souvenir me revient. Ne sera-t-il pas convenable d’attirer l’attention du chef de gare d’Ouzoun-Ada sur cet inquiétant colis ? En somme, cela n’est pas mon affaire. Nous verrons avant le départ.