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Le déjeuner rapidement expédié, je me remets en campagne. Pendant ma promenade, j’ai pu admirer quelques magnifiques Lesghiens, la tcherkesse grisâtre avec cartouchières sur la poitrine, la bechmet de soie rouge vif, les guêtres brodées d’argent, la chaussure plate sans talon, le papak blanc sur la tête, le long fusil en travers des épaules, le schaska et le kandjiar à la ceinture, — bref des hommes-arsenal comme il y a des hommes-orchestre, mais d’un aspect superbe, et qui doivent faire un merveilleux effet dans les cortèges de l’empereur de Russie.

Il est déjà deux heures, et je songe à me diriger vers l’embarcadère. Il me faut repasser par la gare où j’ai laissé mon léger bagage en consigne.

Me voici donc, tenant ma valise d’une main, ma canne de l’autre, et je prends une des rues qui descendent vers le port.

Au tournant d’une place, près de l’endroit où l’enceinte se rompt pour donner accès sur le quai, deux personnes, qui marchent conjointement, attirent, je ne sais pourquoi, mon attention. C’est un couple en costume de voyage. L’homme montre de trente à trente-cinq ans, la femme, de vingt-cinq à trente ans, — l’homme, un brun grisonnant déjà, avec physionomie mobile, regard vif, démarche aisée et un certain balancement des hanches, — la femme, une blonde encore assez jolie, l’œil bleu, le teint un peu défraîchi, les cheveux frisottant sous sa capote, un accoutrement de voyage qui n’est de bon goût ni dans sa coupe démodée ni dans sa couleur tapageuse. Ce sont vraisemblablement deux époux que le train vient d’amener de Tiflis, et peut-être même, si mon flair ne me trompe, deux Français.

Mais, bien que je les observe curieusement, ils n’en font pas autant de ma personne. Ils sont trop occupés pour m’avoir aperçu. Entre les mains, sur les épaules, des sacs, des coussins, des couvertures, des cannes, des parapluies, des ombrelles. Ils emportent tout ce que l’on peut imaginer de petits colis qu’ils ne veulent point mettre avec les bagages du paquebot. Je me sens un vif désir de leur venir en aide.