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geant leurs pistolets, et qui vous faisaient escorte, si vous étiez en compagnie d’un haut fonctionnaire moscovite ou d’un colonel de la Staniza ?

— Sans doute, nous avons perdu ces belles choses, reprend mon Yankee. Mais, grâce à ces rubans de fer qui finiront par cercler notre globe comme un muid de cidre ou une balle de coton, nous allons en treize jours de Tiflis à Pékin. C’est pourquoi, si vous avez compté sur des incidents… pour vous distraire…

— Certainement, monsieur Ephrinell !

— Illusions, monsieur Bombarnac ! Il n’arrivera rien, pas plus à vous qu’à moi. Wait a bit ! je vous promets le voyage le plus monotone, le plus prosaïque, le plus pot-au-feu, le plus terre à terre, enfin le plus plat… plat comme les steppes du Kara-Koum que le Grand-Transasiatique traverse en Turkestan, et les plaines du désert de Gobi qu’il traverse en Chine…

— Nous verrons bien, répondis-je, car je voyage pour le plaisir de mes lecteurs…

— Tandis que moi je voyage tout simplement pour mes propres affaires. »

Et sur cette réponse, l’idée me vient que Fulk Ephrinell ne sera sans doute pas le compagnon de route que j’avais rêvé. Il a des marchandises à vendre, je n’en ai point à acheter.

Je prévois dès lors que de notre rencontre il ne naîtra pas une intimité suffisante pendant ce long parcours. Ce doit être un de ces Yankees dont on a pu dire : quand ils tiennent un dollar entre les dents, il est impossible de le leur arracher… et je ne lui arracherai rien qui vaille !

Cependant, si je sais de lui qu’il voyage pour le compte de la maison Strong Bulbul and Co. de New-York, j’ignore ce qu’est cette maison. À entendre ce courtier américain, il semble que la raison sociale Strong Bulbul and Co. doit être connue du monde entier. Mais alors comment se fait-il que je ne la connaisse pas, moi, un reporter, élève de Chincholle, notre maître à tous ! Je suis en défaut, puisque