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possède des chemins de fer, je trouve déjà cela assez invraisemblable !

— Je ne dis pas le contraire, ai-je répondu. Cependant, quand on se donne des railways, c’est pour en tirer tous les avantages qu’ils comportent.

— Bah ! fit insoucieusement Pan-Chao.

— La vitesse, ai-je répondu, c’est du temps gagné, et gagner du temps…

— Le temps n’existe pas en Chine, monsieur Bombarnac, et il ne peut exister pour une population de quatre cents millions d’hommes. Il en resterait trop peu pour chacun. Aussi n’en sommes-nous même pas à compter par jours et par heures… C’est toujours par lunes et par veilles…

— Ce qui est plus poétique que pratique, ai-je répondu.

— Pratique, monsieur le reporter ! En vérité, vous autres Occidentaux, vous n’avez que ce mot à la bouche ! Être pratique, mais c’est être esclave du temps, du travail, de l’argent, des affaires, du monde, des autres, de soi-même ! Je vous l’avoue, pendant mon séjour en Europe, — demandez au docteur Tio-King, — je n’ai guère été pratique, et maintenant, revenu en Asie, je ne le serai pas davantage. Je me laisserai vivre, voilà tout, comme le nuage se laisse emporter par la brise, le brin de paille par le courant, la pensée par l’imagination…

— Je vois, dis-je, qu’il faut prendre la Chine comme elle est…

— Et comme elle sera probablement toujours, monsieur Bombarnac. Ah ! si vous saviez combien l’existence y est facile, — un adorable far niente entre paravents dans le calme des yamens ! Le souci des affaires nous préoccupe peu, le souci de la politique encore moins. Songez donc ! Depuis Fou-Hi, premier empereur en 2950, un contemporain de Noé, nous en sommes à la vingt-troisième dynastie. Actuellement, elle est mandchoue, et ce qu’elle sera plus tard, qu’importe ! Avons-nous un gouvernement ou n’en avons-nous pas, lequel de ses fils le Ciel a-t-il choisi pour faire le bonheur de ses