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correct, capricieux, imprévu, une merveille d’irrégularité, que l’horizon borde de son cadre grandiose de montagnes.

Il est bientôt cinq heures. Je n’ai pas le temps de me livrer au torrent rémunérateur des phrases descriptives. Hâtons-nous de redescendre vers la gare.

Là, une certaine affluence de monde, Arméniens, Géorgiens, Mingréliens, Tartares, Kurdes, Israélites, Russes des bords de la Caspienne, les uns venant prendre leurs billets — ô couleur orientale ! — directement pour Bakou, les autres pour les stations intermédiaires.

Cette fois, j’étais parfaitement en mesure. Ni l’employé à face de gendarme, ni les gendarmes en personne n’auraient pu mettre obstacle à mon départ.

On me délivre un billet de première classe, valable jusqu’à Bakou. Je descends sur le quai qui donne accès aux voitures. Suivant mon habitude, je vais m’installer dans le coin d’un compartiment assez confortable. Quelques voyageurs y montent à ma suite, tandis que le populaire cosmopolite envahit les wagons de seconde et de troisième classe. Les portières sont refermées, après la visite du contrôleur. Un dernier coup de sifflet annonce que le train va se mettre en marche…

Soudain, des cris se font entendre, — des cris où la colère se mêle au désespoir, et je saisis ces mots en allemand :

« Arrêtez !… Arrêtez ! »

Je baisse la vitre et regarde.

Un gros homme, valise à la main, chapeau-casque sur la tête, les jambes embarrassées dans les plis de sa vaste houppelande, court à perdre haleine. Il est en retard.

Des employés veulent le retenir… Essayez donc d’arrêter, s’il vous plaît, une bombe au milieu de sa trajectoire. Cette fois encore, le droit est primé par la force.

La bombe teutonne décrit une courbe très heureusement calculée, et vient tomber dans le compartiment voisin du nôtre, à travers la portière qu’un voyageur complaisant tient ouverte.