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le génie de l’homme à la nature, et la victoire est restée au génie. À travers ces passes en pente douce que les Kirghizes nomment « bels », les viaducs, les ponts, les remblais, les tranchées, les tunnels, ont concouru à l’établissement de cette voie ferrée. Ce ne sont que coudes brusques, pentes qui exigent de puissantes locomotives, çà et là des machines fixes pour haler le train accroché à des câbles mouvants, en un mot, un travail herculéen, supérieur aux travaux des ingénieurs américains dans les défilés de la Sierra-Nevada et des Montagnes-Rocheuses.

L’aspect désolé de ces territoires est fait pour impressionner l’imagination. À mesure que le train gagne les hautes altitudes, en suivant le profil accidenté de la ligne, cette impression est plus vive encore. Pas de bourgades, pas de hameaux. Rien que des cabanes éparses, où le Pamirien mène une existence solitaire avec sa famille, ses chevaux, ses troupeaux de yaks ou « koutars », qui sont des bœufs à queue de cheval, ses moutons de petite race, ses chèvres à poils très épais. La mue de ces animaux est une conséquence naturelle du climat, et ils changent la robe de chambre de l’hiver pour la blanche fourrure de l’été. Il en est de même du chien, dont le poil devient plus clair à l’époque des chaleurs.

En remontant les passes, de larges brisures laissent parfois entrevoir le plateau à de longs et vagues reculs. En maint endroit se groupent les genévriers et les bouleaux, qui sont les principaux arbres du Pamir, et sur les plaines ondulées, foisonnent le tamarix, le carex, l’armoise, une sorte de roseau très abondant aux abords des dépressions remplies d’eau saline, et une labiée naine, nommée « terskenne » par les Kirghizes.

Le major me cite encore certains animaux, qui constituent une faune assez variée sur les hauteurs du Pamir. Il est même nécessaire de surveiller la plate-forme des voitures, où pourraient s’élancer certains mammifères, qui n’ont droit ni à la première ni à la seconde classe, — entre autres des panthères et des ours. Pendant cette journée, nos compagnons se sont tenus à l’avant et à l’arrière