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pas désavouée les fanatiques de l’Élysée-Montmartre, pendant qu’un cantique, littéralement vociféré, rythme leurs pas des plus caractéristiques.

N’oublions pas que j’ai parcouru le marché aux livres. On n’y compte pas moins de vingt-six boutiques, où se vendent des imprimés et des manuscrits, non au poids comme du thé ou à la botte comme des légumes, mais sous forme d’une marchandise courante. Quant aux nombreux « médressés », — ces collèges qui ont donné à Boukhara un renom universitaire, — je dois avouer que je n’en ai pas visité un seul. Harassé, fourbu, je reviens m’asseoir sous les ormes du quai de Divanbeghi. Là bouillent incessamment d’énormes samovars, et pour un « tenghe », ou soixante-quinze centimes, je m’abreuve de ce « shivin », thé de provenance supérieure, et qui ne ressemble guère à celui que nous consommons en Europe, lequel a déjà servi, dit-on, à nettoyer les tapis du Céleste-Empire.

Voilà le seul souvenir que j’ai gardé de la Rome turkestane. D’ailleurs, du moment qu’on n’y peut pas séjourner un mois, mieux vaut n’y demeurer que quelques heures.

À dix heures et demie, accompagné du major Noltitz, que j’avais retrouvé au départ du Decauville, je débarque à la gare, dont les magasins sont encombrés de balles de coton boukhariote et de ponds de laine mervienne.

Je vois d’un seul coup d’œil que tous mes numéros sont sur le quai, jusqu’au baron allemand. À la queue du train, les Persans montent fidèlement la garde autour du mandarin Yen-Lou. Il me semble que trois de nos compagnons de voyage les observent avec une curiosité persistante ; ce sont ces Mongols, de mine suspecte, que nous avons pris à la station de Douchak. En passant près d’eux, je crois même remarquer que le seigneur Faruskiar leur fait un signe, dont je ne comprends pas le sens. Est-ce qu’il les connaît ?… Quoi qu’il en soit, cette circonstance m’intrigue.

À peine le train a-t-il démarré, que les voyageurs gagnent le dining-car. Les places voisines de celles que le major et moi nous