Page:Verne - Claudius Bombarnac.djvu/107

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je dois en convenir, en voyant cette poursuite effarée, M. et Mme Caterna se tiennent les côtes, le jeune Chinois Pan-Chao éclate de rire, tandis que le docteur Tio-King garde un imperturbable sérieux.

L’Allemand, écarlate, essoufflé, haletant, époumoné, n’en peut plus. À deux reprises, il parvient à mettre la main sur son couvre-chef, qui lui échappe, et il s’étale de son long, la tête sous les plis de sa houppelande, — ce qui autorise M. Caterna à chantonner le célèbre motif de Miss Helyett :

Ah ! le superbe point de vu… u… u… ue !
Ah ! la perspective imprévu… u… u… ue !

Je ne connais rien de malicieux, de burlesque comme un chapeau que le vent emporte, qui va, vient, caracole, saute, sursaute, plane, s’envole de plus belle au moment où vous croyez le saisir. Et, si cela m’arrivait, je pardonnerais à ceux qui riraient de cette lutte comique.

Mais le baron n’est pas d’humeur à pardonner. Il bondit de ci, il rebondit de là, il s’engage sur la voie. On lui crie : « Prenez garde… prenez garde ! » car le train, venant de Merv, entre en gare avec une certaine vitesse. Ce fut la mort du chapeau : la locomotive l’écrase sans pitié, le casque n’est plus qu’une loque déchiquetée qu’on rapporte au baron. Et alors recommence la série des imprécations à l’adresse du Grand-Transasiatique.

Le signal ayant été donné, les voyageurs anciens et nouveaux se hâtent de prendre et reprendre leurs places. Parmi les nouveaux, j’aperçois trois Mongols, d’assez mauvaise mine, qui montent dans un des wagons de deuxième classe.

Au moment où je mets le pied sur la plate-forme, voici que j’entends le jeune Chinois dire à son compagnon :

« Eh ! Docteur Tio-King, avez-vous vu cet Allemand avec son chapeau drolatique ?… Ce que j’ai ri ! »