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— à l’état de cadavre, il est vrai. N’importe ! je recommande à Popof de chercher à connaître le nom du défunt. Ce doit être quelque mandarin de marque. Dès que je le saurai, j’enverrai un télégramme au XXe Siècle.

Tandis que je regarde ce fourgon, un nouveau voyageur l’examine avec non moins de curiosité que moi.

Ce voyageur est un homme de fière mine, âgé d’une quarantaine d’années, portant élégamment le costume des riches Mongols, haute taille, regard un peu sombre, moustache mousquetaire à la Scholl, — puisse-t-il avoir son esprit ! teint très mat, paupières qui ne battent jamais.

« Voici, me dis-je, un superbe type ! Je ne sais s’il deviendra le grand premier rôle que je cherche, mais, à tout hasard, je vais lui donner le numéro 12 dans ma troupe ambulante. »

Ce grand premier rôle, — je l’appris bientôt de Popof, — est le seigneur Faruskiar. Il est accompagné d’un autre Mongol d’un rang inférieur, du même âge que lui, nommé Ghangir. Tous deux, en regardant le wagon que l’on rattache à la queue du train, en avant du fourgon des bagages, échangent quelques paroles. Dès que la manœuvre est achevée, les Persans prennent place dans le wagon de deuxième classe qui précède la voiture mortuaire, afin que le précieux corps soit toujours sous leur surveillance.

En ce moment, des cris éclatent sur le quai de la gare.

Ces cris, je les connais. C’est le baron Weissschnitzerdörfer, qui clame :

« Arrêtez… arrêtez !… »

Cette fois, il ne s’agit pas d’un train en partance, mais d’un chapeau en détresse. Quelques rafales assez violentes s’engouffrent sous cette gare, ouverte à tous les vents, et le chapeau du baron, — un chapeau-casque de couleur bleuâtre, — vient d’être enlevé d’un coup brusque. Il roule sur le quai, sur les rails, rase les clôtures et les murailles, et son propriétaire court à perdre haleine sans parvenir à le rattraper.