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le docteur, laissant se contracter le gaz, descendit afin de saisir une direction plus septentrionale. Longtemps ses recherches furent vaines ; le vent l’entraîna dans l’ouest, jusqu’en vue des célèbres montagnes de la Lune, qui s’arrondissent en demi-cercle autour de la pointe du lac Tanganayika ; leur chaîne, peu accidentée, se détachait sur l’horizon bleuâtre ; on eût dit une fortification naturelle, infranchissable aux explorateurs du centre de l’Afrique ; quelques cônes isolés portaient la trace des neiges éternelles.

« Nous voilà, dit le docteur, dans un pays inexploré ; le capitaine Burton s’est avancé fort avant dans l’ouest ; mais il n’a pu atteindre ces montagnes célèbres ; il en a même nié l’existence, affirmée par Speke, son compagnon ; il prétend qu’elles sont nées dans l’imagination de ce dernier ; pour nous, mes amis, il n’y a plus de doute possible.

— Est-ce que nous les franchirons ? demanda Kennedy.

— Non pas, s’il plaît à Dieu ; j’espère trouver un vent favorable qui me ramènera à l’équateur ; j’attendrai même, s’il le faut, et je ferai du Victoria comme d’un navire qui jette l’ancre par les vents contraires. »

Mais les prévisions du docteur ne devaient pas tarder à se réaliser. Après avoir essayé différentes hauteurs, le Victoria fila dans le nord-est avec une vitesse moyenne.

« Nous sommes dans la bonne direction, dit-il en consultant sa boussole, et à peine à deux cents pieds de terre, toutes circonstances heureuses pour reconnaître ces régions nouvelles ; le capitaine Speke, en allant à la découverte du lac Ukéréoué, remontait plus à l’est, en droite ligne au dessus de Kazeh.

— Irons-nous longtemps de la sorte ? demanda Kennedy.

— Peut-être ; notre but est de pousser une pointe du côté des sources du Nil, et nous avons plus de six cents milles à parcourir, jusqu’à la limite extrême atteinte par les explorateurs venus du Nord.

— Et nous ne mettrons pas pied à terre, fit Joe, histoire de se dégourdir les jambes ?

— Si vraiment ; il faudra d’ailleurs ménager nos vivres, et, chemin faisant, mon brave Dick, tu nous approvisionneras de viande fraîche.

— Dès que tu le voudras, ami Samuel.

— Nous aurons aussi à renouveler notre réserve d’eau. Qui sait si nous ne serons pas entraînés vers des contrées arides ? On ne saurait donc prendre trop de précautions. »

À midi, le Victoria se trouvait par 29° 15′ de longitude et 3° 15′ de latitude. Il dépassait le village d’Uyofu, dernière limite septentrionale de l’Unyamwezi, par le travers du lac Ukéréoué, que l’on ne pouvait encore apercevoir.