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tation luxuriante s’élevait sur ce sol prodigue. Dans de nombreux villages se reproduisaient des scènes de cris et de stupéfaction à la vue du Victoria, et le docteur Fergusson se tenait prudemment hors de la portée des flèches ; les habitants, attroupés autour de leurs huttes contiguës, poursuivaient longtemps les voyageurs de leurs vaines imprécations.


Vue du pays d’Uzaramo.


À midi, le docteur, en consultant sa carte, estima qu’il se trouvait au-dessus du pays d’Uzaramo[1]. La campagne se montrait hérissée de cocotiers, de papayers, de cotonniers, au-dessus desquels le Victoria paraissait se jouer. Joe trouvait cette végétation toute naturelle, du moment qu’il s’agissait de l’Afrique. Kennedy apercevait des lièvres et des cailles qui ne demandaient pas mieux que de recevoir un coup de fusil ; mais c’eût été de la poudre perdue, attendu l’impossibilité de ramasser le gibier.

Les aéronautes marchaient avec une vitesse de douze milles à l’heure, et se trouvèrent bientôt par 38° 20′ de longitude au-dessus du village de Tounda.

« C’est là, dit le docteur, que Burton et Speke furent pris de fièvres violentes et crurent un instant leur expédition compromise. Et cependant ils étaient encore peu éloignés de la côte, mais déjà la fatigue et les privations se faisaient rudement sentir. »

En effet, dans cette contrée règne une mal’aria perpétuelle ; le docteur n’en put même éviter les atteintes qu’en élevant le ballon au-dessus des miasmes de cette terre humide, dont un soleil ardent pompait les émanations.

Parfois on put apercevoir une caravane se reposant dans un « kraal » en attendant la fraîcheur du soir pour reprendre sa route. Ce sont de vastes emplacements entourés de haies et de jungles, où les trafiquants s’abritent non seulement contre les bêtes fauves, mais aussi contre les tribus pillardes de la contrée. On voyait les indigènes courir, se disperser à la vue du Victoria. Kennedy désirait les contempler de plus près ; mais Samuel s’opposa constamment à ce dessein.

« Les chefs sont armés de mousquets, dit-il, et notre ballon serait un point de mire trop facile pour y loger une balle.

— Est-ce qu’un trou de balle amènerait une chute ? demanda Joe.

— Immédiatement, non ; mais bientôt ce trou deviendrait une vaste déchirure par laquelle s’envolerait tout notre gaz.

— Alors tenons-nous à une distance respectueuse de ces mécréants. Que doivent-ils penser à nous voir planer dans les airs ? Je suis sûr qu’ils ont envie de nous adorer.

  1. U, ou, signifient contrée dans la langue du pays.