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feuilles de tous les arbres différents du pays ; ils les firent bouillir à petit feu, pendant que l’on tuait un mouton en lui enfonçant une longue aiguille dans le cœur. Mais, en dépit de leurs cérémonies, le ciel demeura pur, et ils en furent pour leur mouton et leurs grimaces.



Les nègres se livrèrent alors à de furieuses orgies, s’enivrant du « tembo », liqueur ardente tirée du cocotier, ou d’une bière extrêmement capiteuse, appelée « togwa ». Leurs chants, sans mélodie appréciable, mais dont le rythme est très juste, se poursuivirent fort avant dans la nuit.

Vers six heures du soir, un dernier dîner réunit les voyageurs à la table du commandant et de ses officiers. Kennedy, que personne n’interrogeait plus, murmurait tout bas des paroles insaisissables ; il ne quittait pas des yeux le docteur Fergusson.

Ce repas d’ailleurs fut triste. L’approche du moment suprême inspirait à tous de pénibles réflexions. Que réservait la destinée à ces hardis voyageurs ? Se retrouveraient-ils jamais au milieu de leurs amis, assis au foyer domestique ? Si les moyens de transport venaient à manquer, que devenir au sein de peuplades féroces, dans ces contrées inexplorées, au milieu de déserts immenses ?

Ces idées, éparses jusque-là, et auxquelles on s’attachait peu, assiégeaient alors les imaginations surexcitées. Le docteur Fergusson, toujours froid, toujours impassible, causa de choses et d’autres ; mais en vain chercha-t-il à dissiper cette tristesse communicative ; il ne put y parvenir.

Comme on craignait quelques démonstrations contre la personne du docteur et de ses compagnons, ils couchèrent tous les trois à bord du Resolute. À six heures du matin, ils quittaient leur cabine et se rendaient à l’île de Koumbeni.