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Sur une largeur de deux mille pieds, le Sénégal se précipitait d’une hauteur de cent cinquante, avec un bruit retentissant. Il coulait de l’est à l’ouest, et la ligne de rochers qui barrait son cours s’étendait du nord au sud. Au milieu de la chute se dressaient des rochers aux formes étranges, comme d’immenses animaux antédiluviens pétrifiés au milieu des eaux.

L’impossibilité de traverser ce gouffre était évidente ; Kennedy ne put retenir un geste de désespoir.

Mais le docteur Fergusson, avec un énergique accent d’audace, s’écria :

« Tout n’est pas fini !

— Je le savais bien », fit Joe avec cette confiance en son maître qu’il ne pouvait jamais perdre.

La vue de cette herbe desséchée avait inspiré au docteur une idée hardie. C’était la seule chance de salut. Il ramena rapidement ses compagnons vers l’enveloppe de l’aérostat.

« Nous avons au moins une heure d’avance sur ces bandits, dit-il ; ne perdons pas de temps, mes amis, ramassez une grande quantité de cette herbe sèche ; il m’en faut cent livres au moins.

— Pourquoi faire ? demanda Kennedy.

— Je n’ai plus de gaz ; eh bien ! je traverserai le fleuve avec de l’air chaud !

— Ah ! mon brave Samuel ! s’écria Kennedy, tu es vraiment un grand homme ! »

Joe et Kennedy se mirent au travail, et bientôt une énorme meule fut empilée près du baobab.

Pendant ce temps, le docteur avait agrandi l’orifice de l’aérostat en le coupant dans sa partie inférieure ; il eut soin préalablement de chasser ce qui pouvait rester d’hydrogène par la soupape ; puis il empila une certaine quantité d’herbe sèche sous l’enveloppe, et il y mit le feu.

Il faut peu de temps pour gonfler un ballon avec de l’air chaud ; une chaleur de cent quatre-vingts degrés[1] suffit à diminuer de moitié la pesanteur de l’air qu’il renferme en le raréfiant ; aussi le Victoria commença à reprendre sensiblement sa forme arrondie ; l’herbe ne manquait pas ; le feu s’activait par les soins du docteur, et l’aérostat grossissait à vue d’œil.

Il était alors une heure moins le quart.

En ce moment, à deux milles dans le nord, apparut la bande des Tali-

  1. 100° centigrades.