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— Nous sacrifierons tout ce qui ne sera pas complètement indispensable ; je veux à tout prix éviter une halte dans ces parages ; les forêts dont nous rasons la cime en ce moment ne sont rien moins que sûres.

— Quoi ! des lions ? des hyènes ? fit Joe avec mépris.

— Mieux que cela, mon garçon, des hommes, et des plus cruels qui soient en Afrique.

— Comment le sait-on ?

— Par les voyageurs qui nous ont précédés ; puis les Français, qui occupent la colonie du Sénégal, ont eu forcément des rapports avec les peuplades environnantes ; sous le gouvernement du colonel Faidherbe, des reconnaissances ont été poussées fort avant dans le pays ; des officiers, tels que MM. Pascal, Vincent, Lambert, ont rapporté des documents précieux de leurs expéditions. Ils ont exploré ces contrées formées par le coude du Sénégal, là où la guerre et le pillage n’ont plus laissé que des ruines.

— Que s’est-il donc passé ?

— Le voici. En 1854, un marabout du Fouta sénégalais, Al-Hadji, se disant inspiré comme Mahomet, poussa toutes les tribus à la guerre contre les infidèles, c’est-à-dire les Européens. Il porta la destruction et la désolation entre le fleuve Sénégal et son affluent la Falémé. Trois hordes de fanatiques guidées par lui sillonnèrent le pays de façon à n’épargner ni un village ni une hutte, pillant et massacrant ; il s’avança même dans la vallée du Niger, jusqu’à la ville de Ségo, qui fut longtemps menacée. En 1857, il remontait plus au nord et investissait le fort de Médine, bâti par les Français sur les bords du fleuve ; cet établissement fut défendu par un héros, Paul Holl, qui, pendant plusieurs mois, sans nourriture, sans munitions presque, tint jusqu’au moment où le colonel Faidherbe vint le délivrer. Al-Hadji et ses bandes repassèrent alors le Sénégal, et revinrent dans le Kaarta continuer leurs rapines et leurs massacres ; or, voici les contrées dans lesquelles il s’est enfui et réfugié avec ses hordes de bandits, et je vous affirme qu’il ne ferait pas bon tomber entre ses mains.

— Nous n’y tomberons pas, dit Joe, quand nous devrions sacrifier jusqu’à nos chaussures pour relever le Victoria.

— Nous ne sommes pas éloignés du fleuve, dit le docteur ; mais je prévois que notre ballon ne pourra nous porter au-delà.

— Arrivons toujours sur les bords, répliqua le chasseur, ce sera cela de gagné.

— C’est ce que nous essayons de faire, dit le docteur ; seulement, une chose m’inquiète.

— Laquelle ?

— Nous aurons des montagnes à dépasser, et ce sera difficile, puisque