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— Bon, tout est pour le mieux. »

En effet, à deux heures, la reine du désert, la mystérieuse Tembouctou, qui eut, comme Athènes et Rome, ses écoles de savants et ses chaires de philosophie, se déploya sous les regards des voyageurs.

Fergusson en suivait les moindres détails sur le plan tracé par Barth lui-même, et il en reconnut l’extrême exactitude.

La ville forme un vaste triangle inscrit dans une immense plaine de sable blanc ; sa pointe se dirige vers le nord et perce un coin du désert ; rien aux alentours ; à peine quelques graminées, des mimosas nains et des arbrisseaux rabougris.

Quant à l’aspect de Tembouctou, que l’on se figure un entassement de billes et de dés à jouer ; voilà l’effet produit à vol d’oiseau ; les rues, assez étroites, sont bordées de maisons qui n’ont qu’un rez-de-chaussée, construites en briques cuites au soleil, et de huttes de paille et de roseaux, celles-ci coniques, celles-là carrées ; sur les terrasses sont nonchalamment étendus quelques habitants drapés dans leur robe éclatante, la lance ou le mousquet à la main ; de femmes point, à cette heure du jour.

« Mais on les dit belles, ajouta le docteur. Vous voyez les trois tours des trois mosquées, restées seules entre un grand nombre. La ville est bien déchue de son ancienne splendeur ! Au sommet du triangle s’élève la mosquée de Sankore avec ses rangées de galeries soutenues par des arcades d’un dessin assez pur ; plus loin, près du quartier de Sane-Gungu, la mosquée de Sidi-Yahia et quelques maisons à deux étages. Ne cherchez ni palais ni monuments. Le cheik est un simple trafiquant, et sa demeure royale un comptoir.

— Il me semble, dit Kennedy, apercevoir des remparts à demi renversés.

— Ils ont été détruits par les Foullannes en 1826 ; alors la ville était plus grande d’un tiers, car Tembouctou, depuis le XIe siècle, objet de convoitise générale, a successivement appartenu aux Touaregs, aux Sonrayens, aux Marocains, aux Foullannes ; et ce grand centre de civilisation, où un savant comme Ahmed-Baba possédait au XVIe siècle une bibliothèque de seize cents manuscrits, n’est plus qu’un entrepôt de commerce de l’Afrique centrale. »

La ville paraissait livrée, en effet, à une grande incurie ; elle accusait la nonchalance épidémique des cités qui s’en vont ; d’immenses décombres s’amoncelaient dans les faubourgs et formaient avec la colline du marché les seuls accidents du terrain.

Au passage du Victoria, il se fit bien quelque mouvement, le tambour fut battu ; mais à peine si le dernier savant de l’endroit eut le temps d’observer ce nouveau phénomène ; les voyageurs, repoussés par le vent