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les acacias et les mimosas sont hérissés, et ses pieds ensanglantés rendaient sa marche extrêmement douloureuse. Mais enfin il put réagir contre ses souffrances, et, le soir venu, il résolut de passer la nuit sur les rives du Tchad.

Là, il eut à subir les atroces piqûres de myriades d’insectes : mouches, moustiques, fourmis longues d’un demi-pouce y couvrent littéralement la terre. Au bout de deux heures, il ne restait pas à Joe un lambeau du peu de vêtements qui le couvraient ; les insectes avaient tout dévoré ! Ce fut une nuit terrible, qui ne donna pas une heure de sommeil au voyageur fatigué ; pendant ce temps, les sangliers, les buffles sauvages, l’ajoub, sorte de lamantin assez dangereux, faisaient rage dans les buissons et sous les eaux du lac ; le concert des bêtes féroces retentissait au milieu de la nuit. Joe n’osa remuer. Sa résignation et sa patience eurent de la peine à tenir contre une pareille situation.

Enfin le jour revint ; Joe se releva précipitamment, et que l’on juge du dégoût qu’il ressentit en voyant quel animal immonde avait partagé sa couche : un crapaud ! mais un crapaud de cinq pouces de large, une bête monstrueuse, repoussante, qui le regardait avec des yeux ronds. Joe sentit son cœur se soulever, et, reprenant quelque force dans sa répugnance, il courut à grands pas se plonger dans les eaux du lac. Ce bain calma un peu les démangeaisons qui le torturaient, et, après avoir mâché quelques feuilles, il reprit sa route avec une obstination, un entêtement dont il ne pouvait se rendre compte ; il n’avait plus le sentiment de ses actes, et néanmoins il sentait en lui une puissance supérieure au désespoir.

Cependant une faim terrible le torturait ; son estomac, moins résigné que lui, se plaignait ; il fut obligé de serrer fortement une liane autour de son corps ; heureusement, sa soif pouvait s’étancher à chaque pas, et, en se rappelant les souffrances du désert, il trouvait un bonheur relatif à ne pas subir les tourments de cet impérieux besoin.

« Où peut être le Victoria ? se demandait-il… Le vent souffle du nord ! Il devrait revenir sur le lac ! Sans doute M. Samuel aura procédé à une nouvelle installation pour rétablir l’équilibre ; mais la journée d’hier a dû suffire à ces travaux ; il ne serait donc pas impossible qu’aujourd’hui… Mais agissons comme si je ne devais jamais le revoir. Après tout, si je parvenais à gagner une des grandes villes du lac, je me trouverais dans la position des voyageurs dont mon maître nous a parlé. Pourquoi ne me tirerais-je pas d’affaire comme eux ? Il y en a qui en sont revenus, que diable !… Allons ! courage ! »

Or, en parlant ainsi et en marchant toujours, l’intrépide Joe tomba en