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tranchait avec ces couleurs vives dans ce chaos, et le mugissement de la tempête dominait cette scène de destruction.



Bientôt le sable s’accumula en masses compactes, et là où naguère s’étendait la plaine unie, s’élevait une colline encore agitée, tombe immense d’une caravane engloutie.

Le docteur et Kennedy, pâles, assistaient à ce terrible spectacle ; ils ne pouvaient plus manœuvrer leur ballon, qui tournoyait au milieu des courants contraires et n’obéissait plus aux différentes dilatations du gaz. Enlacé dans ces remous de l’air, il tourbillonnait avec une rapidité vertigineuse ; la nacelle décrivait de larges oscillations ; les instruments suspendus sous la tente s’entrechoquaient à se briser, les tuyaux du serpentin se courbaient à se rompre, les caisses à eau se déplaçaient avec fracas ; à deux pieds l’un de l’autre, les voyageurs ne pouvaient s’entendre, et d’une main crispée s’accrochant aux cordages ; ils essayaient de se maintenir contre la fureur de l’ouragan.

Kennedy, les cheveux épars, regardait sans parler ; le docteur avait repris son audace au milieu du danger, et rien ne parut sur ses traits de ses violentes émotions, pas même quand, après un dernier tournoiement, le Victoria se trouva subitement arrêté dans un calme inattendu ; le vent du nord avait pris le dessus et le chassait en sens inverse sur la route du matin avec une rapidité non moins égale.

« Où allons-nous ? s’écria Kennedy.

— Laissons faire la Providence, mon cher Dick ; j’ai eu tort de douter d’elle ; ce qui convient, elle le sait mieux que nous, et nous voici retournant vers les lieux que nous n’espérions plus revoir. »

Le sol si plat, si égal pendant l’aller, était alors bouleversé comme les flots après la tempête ; une suite de petits monticules à peine fixés jalonnaient le désert ; le vent soufflait avec violence, et le Victoria volait dans l’espace.

La direction suivie par les voyageurs différait un peu de celle qu’ils avaient prise le matin ; aussi vers les neuf heures, au lieu de retrouver les rives du Tchad, ils virent encore le désert s’étendre devant eux.

Kennedy en fit l’observation.

« Peu importe, répondit le docteur ; l’important est de revenir au sud ; nous rencontrerons les villes de Bornou, Wouddie ou Kouka, et je n’hésiterai pas à m’y arrêter.

— Si tu es satisfait, je le suis, répondit le chasseur ; mais fasse le ciel que nous ne soyons pas réduits à traverser le désert comme ces malheureux Arabes ! Ce que nous avons vu est horrible.

— Et se reproduit fréquemment, Dick. Les traversées du désert sont au-