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s’élargissant, surtout dans l’est, et rien ne paraissait à l’horizon, ni continent ni îles.

Les deux amis n’avaient pas encore osé parler de leur infortuné compagnon. Kennedy fut le premier à faire part de ses conjectures au docteur.

« Joe n’est peut-être pas perdu, dit-il. C’est un garçon adroit, un nageur comme il en existe peu. Il n’était pas embarrassé de traverser le Firth of Forth à Édimbourg. Nous le reverrons, quand et comment, je l’ignore ; mais, de notre côté, ne négligeons rien pour lui donner l’occasion de nous rejoindre.

— Dieu t’entende, Dick ! répondit le docteur d’une voix émue. Nous ferons tout au monde pour retrouver notre ami ! Orientons-nous d’abord. Mais, avant tout, débarrassons le Victoria de cette enveloppe extérieure, qui n’est plus utile ; ce sera nous délivrer d’un poids considérable, six cent cinquante livres, ce qui en vaut la peine. »

Le docteur et Kennedy se mirent à l’ouvrage ; ils éprouvèrent de grandes difficultés ; il fallut arracher morceau par morceau ce taffetas très résistant, et le découper en minces bandes pour le dégager des mailles du filet. La déchirure produite par le bec des oiseaux de proie s’étendait sur une longueur de plusieurs pieds.

Cette opération prit quatre heures au moins ; mais enfin le ballon intérieur, entièrement dégagé, parut n’avoir aucunement souffert. Le Victoria était alors diminué d’un cinquième. Cette différence fut assez sensible pour étonner Kennedy.

« Sera-t-il suffisant ? demanda-t-il au docteur.

— Ne crains rien à cet égard, Dick ; je rétablirai l’équilibre, et si notre pauvre Joe revient, nous saurons bien reprendre avec lui notre route accoutumée.

— Au moment de notre chute, Samuel, si mes souvenirs sont exacts, nous ne devions pas être éloignés d’une île.

— Je me le rappelle en effet ; mais cette île, comme toutes celles du Tchad, est sans doute habitée par une race de pirates et de meurtriers ; ces sauvages auront été certainement témoins de notre catastrophe, et si Joe tombe entre leurs mains, à moins que la superstition ne le protège, que deviendra-t-il ?

— Il est homme à se tirer d’affaire, je te le répète ; j’ai confiance dans son adresse et son intelligence.

— Je l’espère. Maintenant, Dick, tu vas chasser aux environs, sans t’éloigner toutefois ; il devient urgent de renouveler nos vivres, dont la plus grande partie a été sacrifiée.

— Bien, Samuel ; je ne serai pas longtemps absent. »