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« Calme-toi, mon brave Joe, lui dit son maître.

— Monsieur, vous en parlez à votre aise.

— Comment ! un philosophe de ta trempe…

— Eh ! monsieur, il n’y a pas de philosophie qui tienne.

— Voyons ! réfléchis un peu. À quoi nous servirait toute cette richesse ? nous ne pouvons pas l’emporter.

— Nous ne pouvons pas l’emporter ? par exemple !

— C’est un peu lourd pour notre nacelle ! J’hésitais même à te faire part de cette découverte, dans la crainte d’exciter tes regrets.

— Comment ! dit Joe, abandonner ces trésors ! Une fortune à nous ! bien à nous ! la laisser !

— Prends garde, mon ami. Est-ce que la fièvre de l’or te prendrait ? est-ce que ce mort, que tu viens d’ensevelir, ne t’a pas enseigné la vanité des choses humaines ?

— Tout cela est vrai, répondit Joe ; mais enfin, de l’or ! Monsieur Kennedy, est-ce que vous ne m’aiderez pas à ramasser un peu de ces millions ?

— Qu’en ferions-nous, mon pauvre Joe ? dit le chasseur qui ne put s’empêcher de sourire. Nous ne sommes pas venus ici chercher la fortune, et nous ne devons pas la rapporter.

— C’est un peu lourd, les millions, reprit le docteur, et cela ne se met pas aisément dans la poche.

— Mais enfin, répondit Joe, poussé dans ses derniers retranchements, ne peut-on, au lieu de sable, emporter ce minerai pour lest ?

— Eh bien ! j’y consens, dit Fergusson ; mais tu ne feras pas trop la grimace, quand nous jetterons quelques milliers de livres par-dessus le bord.

— Des milliers de livres ! reprenait Joe, est-il possible que tout cela soit de l’or !

— Oui, mon ami ; c’est un réservoir où la nature a entassé ses trésors depuis des siècles ; il y a là de quoi enrichir des pays tout entiers ! Une Australie et une Californie réunies au fond d’un désert !

— Et tout cela demeurera inutile !

— Peut-être ! En tout cas, voici ce que je ferai pour te consoler.

— Ce sera difficile, répliqua Joe d’un air contrit.

— Écoute. Je vais prendre la situation exacte de ce placer, je te la donnerai, et, à ton retour en Angleterre, tu en feras part à tes concitoyens, si tu crois que tant d’or puisse faire leur bonheur.

— Allons, mon maître, je vois bien que vous avez raison ; je me résigne, puisqu’il n’y a pas moyen de faire autrement. Emplissons notre nacelle de ce précieux minerai. Ce qui restera à la fin du voyage sera toujours autant de gagné. »