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suite du voyage.

s’épanouissaient le long des branches gonflées de sève ; feuilles et fleurs ne tarderaient pas à marier leurs couleurs printanières.

La contrée présentait alors cet aspect spécial aux pays du Nord. La vallée du Frazer était encadrée de forêts, au milieu desquelles dominaient les essences septentrionales, des cèdres, des sapins, et aussi de ces pins Douglas, dont quelques-uns, sur une circonférence de quinze mètres à la base du tronc, dressent leur cime à plus de cent pieds au-dessus du sol. Le gibier abondait dans les bois, dans la plaine, et, sans trop s’écarter, Jean fournissait aisément aux besoins quotidiens de l’office.

Du reste, nul aspect d’un désert en cette région. Çà et là des villages où les Indiens semblaient vivre en assez bonne intelligence avec les agents de l’administration anglo-saxonne. À la surface du fleuve apparaissaient des flotilles de ces canots en bois de cèdre, qui descendaient à l’aide du courant, ou remontaient à l’aide des pagaies et de la voile.

Souvent aussi, on croisait des bandes de Peaux-Rouges, qui gagnaient vers le sud. Enveloppés dans leurs manteaux de laine blanche, ils échangeaient deux ou trois paroles avec M. Cascabel, qui finissait par les comprendre tant bien que mal, car ils se servaient d’un singulier idiome, le chinouk, dans lequel se mélangent le français, l’anglais et le patois indigène.

« Bon ! s’écriait-il, voilà que je sais le chinouk !… Encore une langue que je parle sans l’avoir jamais apprise ! »

Chinouk, c’est, en effet ― ainsi que le dit Ro-No ― le nom donné à ce langage de l’Ouest-Amérique, et les diverses peuplades l’emploient jusque dans les provinces alaskiennes.

À cette époque, grâce à la précocité de la saison chaude, il va sans dire que les neiges de l’hiver avaient complètement disparu, bien qu’elles persistent parfois jusqu’aux derniers jours d’avril. Ainsi le voyage s’opérait donc dans des conditions favorables. Sans trop le surmener, M. Cascabel pressait son attelage autant que le permettait la prudence, tant il avait hâte d’être en dehors des territoires colom-