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césar cascabel.

— Et moi, je suis gonflée comme une baudruche ! s’écria Napoléone.

— Et moi, je suis couvert de boutons de la tête aux pieds ! s’écria Clou-de-Girofle.

— Qu’est-ce que cela veut dire ? ajouta M. Cascabel. Est-ce que la peste est dans le pays ?…

— Je crois savoir ce que c’est, répondit Jean, en examinant ses bras zébrés de taches rougeâtres.

— Et qu’est-ce donc ?…

— Nous avons pris la yèdre, comme disent les Américains.

— Que le diable emporte ta yèdre ! Voyons ! Nous diras-tu ce que signifie ?…

— La yèdre, père, c’est une plante qu’il suffit de sentir, de toucher, même de regarder, paraît-il, pour en subir tous les désagréments. Elle vous empoisonne à distance…

— Comment… nous sommes empoisonnés, répliqua Mme Cascabel, empoisonnés !…

— Oh ! ne crains rien, mère, se hâta de répondre Jean. Nous en serons quittes pour quelques démangeaisons et peut-être un peu de fièvre. »

L’explication était juste. Cette yèdre est une plante malsaine, extrêmement vénéneuse. Lorsque le vent est chargé de la semence presque impalpable de cet arbuste, si la peau en est seulement effleurée, elle rougit, se couvre de boutons, se marbre d’efflorescences. Sans doute, pendant que la voiture traversait les bois aux approches de Salem, M. Cascabel et les siens avaient été saisis au passage par un courant de yèdre. En somme, l’éruption, dont ils eurent tous à souffrir, ne dura que vingt-quatre heures, pendant lesquelles, il est vrai, chacun fut obligé de se gratter et de se regratter, à rendre jaloux John Bull, qui s’adonnait sans relâche à cette opération essentiellement simiesque.

Le 5 avril, la Belle-Roulotte quitta Salem, emportant avec elle un cuisant souvenir des heures passées dans les forêts de la Villamette,