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césar cascabel.


Cet homme, dit-il, je vous le dénonce !… C’est lui qui a fait rentrer en Russie un condamné politique !… Ah ! tu m’as livré, maudit saltimbanque, je te livre à mon tour !

— Livre, mon ami, répondit tranquillement M. Cascabel, en clignant de l’œil.

— Et le condamné, l’évadé de la forteresse d’Iakoust, qu’il a ramené, c’est le comte Narkine !

— Parfaitement, Ortik ! »

Cornélia, ses enfants, et Kayette, qui venait d’accourir, étaient atterrés !…

En ce moment, un des spectateurs se lève… C’est le comte Narkine !…

« Le voilà ! dit Ortik.

— Oui ! le comte Narkine ! répond M. Serge.

— Mais le comte Narkine amnistié ! » s’écrie M. Cascabel, en partant d’un superbe éclat de rire.

Quel effet sur le public ! Toute cette réalité, mêlée aux fictions de la pièce, cela était de nature à troubler les plus fermes esprits ! Il n’est même pas bien sûr qu’une partie des spectateurs n’ait pas cru que les Brigands de la Forêt Noire n’avaient jamais eu d’autre dénouement !

Une courte explication suffira.

Depuis que le comte Narkine avait été recueilli par la famille Cascabel sur la frontière de l’Alaska, treize mois s’étaient écoulés, pendant lesquels il n’avait reçu aucune nouvelle de Russie. Ce n’était ni chez les Indiens du Youkon, ni chez les indigènes des îles Liakhoff qu’elles auraient pu lui arriver. Il ignorait donc que, depuis six mois, un ukase, rendu par le czar Alexandre II, amnistiait ceux des condamnés politiques qui étaient dans la situation du comte Narkine. Le prince, son père, lui avait écrit en Amérique qu’il pouvait rentrer en Russie, où il l’attendait impatiemment. Mais, déjà parti, le comte n’avait pas eu connaissance de cette lettre, et elle avait été retournée au château de Walska, faute de destinataire.