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césar cascabel.

Ce matin-là, Jean, plus désespéré que jamais, vint trouver la jeune Indienne, et, lorsqu’il la vit pâle, défaite, les yeux rougis par l’insomnie :

« Qu’as-tu, Kayette ? lui demanda-t-il.

— Je n’ai rien, Jean ! répondit-elle.

— Si !… Tu es malade !… Tu n’as pas dormi !… On dirait que tu as pleuré, petite Kayette !

— C’est l’orage d’hier !… Je n’ai pas pu fermer les yeux de toute la nuit !

— Ce voyage t’aura bien fatiguée, n’est-ce pas ?…

— Non, Jean !… Je suis forte !… Est-ce que je ne suis pas habituée à toutes les misères !… Cela passera !

— Qu’as-tu, Kayette ?… Dis-le moi… je t’en prie !…

— Je n’ai rien, Jean ! »

Et Jean n’insista plus.

En voyant ce pauvre garçon si malheureux, Kayette avait été sur le point de tout lui dire ! Cela l’affligeait tant d’avoir un secret pour lui ! Mais, le sachant si résolu, elle se disait qu’il ne saurait pas se retenir, en présence de Kirschef et d’Ortik. Il s’emporterait peut-être !… Or, une imprudence pouvait coûter la vie au comte Narkine, et Kayette se tut.

D’ailleurs, après y avoir longuement réfléchi, elle résolut de faire connaître à M. Cascabel ce qu’elle venait d’apprendre. Mais il fallait qu’elle pût se trouver seule avec lui, et, pendant la traversée de l’Oural, ce serait difficile, car il importait que les deux Russes ne fussent point mis en défiance.

Du reste, il n’y avait pas de temps perdu, puisque ces misérables ne devaient rien tenter avant l’arrivée de la famille à Perm. Leurs soupçons ne pouvaient être en éveil, tant que M. Cascabel et les siens continueraient d’être pour eux ce qu’ils avaient toujours été. Et même, lorsque M. Serge eut appris qu’Ortik et Kirschef avaient manifesté l’intention d’aller jusqu’à Perm, il ne leur cacha point sa satisfaction.