Avant midi, ces emplettes étaient terminées. L’heure venue, on dîna assez joyeusement, bien que Jean et Kayette eussent le cœur serré. Ne voyaient-ils pas s’approcher le moment de la séparation ?…
En effet, que ferait M. Serge, quand il aurait revu le prince Narkine, son père ? Ne pouvant rester en Russie, repartirait-il pour l’Amérique, ou resterait-il en Europe ? On le comprend, cela ne laissait pas de préoccuper M. Cascabel. Il aurait voulu savoir à quoi s’en tenir à ce sujet. Aussi, ce jour-là, après le dîner, prit-il le parti de demander à M. Serge s’il lui conviendrait de « venir faire un tour » aux environs du village. M. Serge, voyant que M. Cascabel désirait lui parler en secret, s’empressa d’accepter.
Quant aux deux matelots, ils prirent congé de la famille, non sans avoir annoncé leur intention d’achever cette journée dans une des tavernes de Mouji.
M. Serge et M. Cascabel quittèrent donc la Belle-Roulotte, firent quelques centaines de pas, et vinrent s’asseoir à la lisière d’un petit bois en dehors du village.
« Monsieur Serge, dit alors M. Cascabel, si je vous ai prié de m’accompagner, c’est que je voulais me trouver seul avec vous… Je désire vous parler de votre situation…
— De ma situation, mon ami ?
— Oui, monsieur Serge, ou plutôt de ce à quoi elle vous obligera lorsque vous serez en Russie !…
— En Russie ?…
— Je ne me trompe point, n’est-il pas vrai, en disant que nous aurons franchi l’Oural dans une dizaine de jours, et que, huit jours plus tard, nous serons arrivés à Perm ?
— Cela me paraît probable, si aucun obstacle ne nous arrête, répondit M. Serge.
— Des obstacles !… Il n’y aura pas d’obstacles !… reprit M. Cascabel. Vous passerez la frontière sans l’ombre d’une difficulté ! Nos papiers sont en règle, vous faites partie de ma troupe, et personne ne pourrait imaginer que l’un de mes artistes est le comte Narkine !…