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le pays des iakoutes.

Déjà la steppe, redevenue verdoyante, se tapissait d’une herbe nouvelle, qui plaisait à l’attelage. Les arbrisseaux bourgeonnaient. Avant trois semaines, les premières feuilles auraient fait éclater les boutons de leurs branches. La vie végétale ranimait aussi le maigre squelette des arbres, réduits à l’état de bois sec par les froids de l’hiver.

Çà et là, quelques groupes de bouleaux et de mélèzes se pliaient avec plus de souplesse au souffle de la brise. Toute cette nature hyperboréenne se revivifiait à la chaleur du soleil.

Les provinces de la Sibérie asiatique sont d’autant moins désertes qu’elles s’éloignent du littoral. Parfois, la petite troupe rencontrait un percepteur, qui s’en allait réclamer le tribut de village en village. On s’arrêtait alors, on échangeait quelques paroles avec ce fonctionnaire ambulant, on lui offrait un verre de vodka qu’il acceptait volontiers. Puis, on se séparait avec des souhaits de bon voyage.

Un certain jour, la Belle-Roulotte fut croisée par un convoi de prisonniers. Ces malheureux, condamnés à faire bouillir le sel, étaient conduits jusqu’aux limites orientales de la Sibérie, et la troupe de Cosaques qui les escortait ne leur ménageait guère les mauvais traitements. Il va sans dire que la présence de M. Serge ne donna lieu à aucune observation de la part du chef de l’escorte ; mais Kayette, toujours en méfiance vis-à-vis des matelots russes, crut remarquer qu’ils cherchèrent à ne point attirer sur eux l’attention des Cosaques.

Le 19 avril, après un parcours de soixante-quinze lieues, la Belle-Roulotte vint faire halte sur la rive droite de la Khatanga, qui se jette dans le golfe du même nom. Plus de pont de glaces, cette fois, qui pût servir à se transporter sur l’autre bord. À peine quelques blocs en dérive, marquant encore la fin de la débâcle. De là, nécessité de chercher un passage guéable — ce qui aurait sans doute causé un long retard, si Ortik n’en eut découvert un à une demi-verste en amont. On ne le traversa pas sans difficulté —, car la voiture y fut noyée jusqu’aux essieux. Puis, le fleuve franchi, vingt-