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le pays des iakoutes.

dizaine de matelots et moi, nous étions au port d’Arkhangelsk, attendant un embarquement à bord des baleiniers, lorsque nous avons été requis pour le sauvetage d’un navire, qui était en détresse au milieu des glaces dans le nord de l’embouchure de la Lena. Eh bien, c’est en allant d’Arkhangelsk à cette baie que nous avons suivi la côte septentrionale de la Sibérie. Quand nous avons eu rejoint le Vremia, nous sommes parvenus à le renflouer, et c’est sur ce bâtiment que nous avons fait la pêche. Mais, comme je vous l’ai dit, il a péri pendant cette campagne avec son équipage, auquel nous avons seul survécu, mon compagnon et moi. Et alors, la tempête a poussé notre embarcation sur l’archipel des Liakhoff, où vous nous avez trouvé.

— Et vous n’avez jamais voyagé dans les provinces de l’Alaska ? demanda Kayette, qui, on le sait, parlait et comprenait le russe.

— L’Alaska ?… répondit Ortik. Est-ce que ce n’est pas en Amérique, ce pays-là ?

— Oui, dit M. Serge. C’est un pays situé dans le nord-ouest du nouveau continent, le pays de Kayette… Est-ce que vos campagnes de pêche vous ont poussé jusque-là ?…

— Nous ne connaissons pas ce pays, répondit Ortik d’un ton très naturel.

— Et nous n’avons jamais dépassé le détroit de Behring », ajouta Kirschef.

La voix de cet homme fit encore sur la jeune Indienne son effet accoutumé, sans qu’elle parvînt à se rappeler où elle avait pu l’entendre. Pourtant, ce ne pouvait être que dans les provinces alaskiennes, puisqu’elle ne les avait jamais quittées.

Aussi, après la réponse si explicite d’Ortik et de Kirschef, Kayette, avec la réserve habituelle à sa race, ne chercha-t-elle pas à poser de nouvelles questions. Néanmoins, une prévention lui restait dans l’esprit, et même une défiance instinctive envers les deux matelots.

Pendant ces vingt-quatre heures de halte, les rennes avaient pu prendre tout le repos qui leur était nécessaire. Bien qu’ils eussent les pieds de devant entravés de cordes, cela ne les empêchait pas de